Hier soir, au Point Ephémère, Ed Harcourt a dû lutter, face à un public trop clairsemé, pour recréer la magie de son album El Magnifico. Il n’y est pas toujours arrivé, mais comment ne pas conserver tout notre amour pour lui ?
Connaissez-vous Ed Harcourt ? Non ? Ne vous en excusez pas, vous n’êtes clairement pas le seul / la seule ? En tout cas, la maigre queue qui s’est formée devant la porte d’entrée de la salle du Point Ephémère, en ce dimanche soir humide et glacial (concluant, qui plus est, un week-end prolongé de 3 jours qui a fait fuir les Parisiens), l’atteste : voilà un musicien qui peine à percer en France, après un quart de siècle d’efforts ! Car, si vous interrogez Chat GPT, ce qui est à la mode en ce moment, il vous dira quelque chose comme : « Ed Harcourt est un auteur-compositeur-interprète et multi-instrumentiste britannique reconnu pour son talent poétique et sa voix envoûtante. Né en 1977 en Angleterre, Harcourt a émergé sur la scène musicale en 2001 avec son premier album Here Be Monsters, rapidement nominé pour le prestigieux Mercury Prize. Sa musique, qui fusionne des influences allant du rock indépendant à la pop baroque, en passant par des sonorités folk et blues, est marquée par des textes introspectifs et des mélodies élégantes. » Bon, si vous passez outre les banalités proférées par une IA pas très « I », vous découvrirez que le bougre a sorti cette année un album magnifique, d’ailleurs intitulé « El Magnifico » ! Si, si, on vous le jure. Et même que cet album justifie pleinement notre présence ce soir, pleins d’espoir…
20h30 : C’est un type très sympa, un Anglais moyen qui écrit des chansons sur « une tasse de thé », comme il l’avoue lui-même, et qui est régulièrement produit par Ed, qui ouvre la soirée. Seul avec sa guitare acoustique et une voix joliment éraillée qui lui confère un charme certain, il nous propose des chansons très calmes, délicates et délivrées avec élégance : les textes sont vraiment bien écrits, mais quiconque ne maîtrise pas suffisamment l’anglais sera sans doute frustré par l’absence de mélodies, remplacées (mais est-ce vraiment possible ?) par une belle atmosphère. Bref, Tom Bright (c’est son nom) n’est pas renversant, mais nous fait passer 35 minutes agréables, même si on peut trouver le temps long.
21h30 : Ed Harcourt entre et s’assoit derrière ses claviers, pour attaquer 1987, le premier extrait de El Magnifico, qui est aussi l’ouverture de l’album. Il est accompagné par un seul musicien, un trompettiste par ailleurs remarquable – qui va contribuer aux plus beaux moments de la soirée. Le problème que cela pose est immédiatement évident : l’album bénéficie d’une orchestration luxuriante et d’une production superlative, atteignant des sommets de lyrisme… qui vont cruellement nous manquer ce soir.
C’est évidemment terriblement injuste de notre part de reprocher à un musicien au talent aussi ébouriffant que Harcourt de ne pas avoir les moyens de jouer son disque sur scène avec la dizaine de musiciens et de choristes, sans même parler de cordes, qui permettrait de recréer les sensations merveilleuses qu’il nous a offertes ! Mais qu’y peut-on ? Harcourt, en plus d’un compositeur talentueux, est un pianiste doué et un chanteur remarquable, doté d’une voix à la puissance émotionnelle inhabituelle. Pourtant, ce soir, l’écart entre ce que l’album El Magnifico nous faisait « vivre » et l’expérience « live » est trop grand, trop en défaveur du concert.
Pas de chance non plus, car la technique y met des siennes pour empêcher le set de se dérouler de manière fluide : l’ordinateur de Harcourt s’est débranché, sa batterie déchargée, impossible de lancer les beats qui, sur certains morceaux, doivent suppléer à l’absence d’un batteur ! Quand il essaie de créer une boucle rythmique avec le tambour placé à son côté, il perd son calme, s’emporte car il n’y arrive pas. Le public, empathique et complice, et ses deux complices sur scène – le trompettiste et un bassiste qui intervient sur plusieurs titres – essaient de le réconforter, de lui dire que ce n’est pas grave, que personne n’est pressé, que ça ira bien comme ça, etc. Mais on va bien que Harcourt est de plus en stressé, et qu’il lui en coûte de retrouver le bon état d’esprit nécessaire pour nous faire vivre les moments enchantés que nous nous étions promis de connaître ce soir, au Point Ephémère…
Bien sûr, au cours de l’heure et trente-cinq minutes, généreuse, à laquelle nous aurons droit, il y aura beaucoup de belles choses : on retiendra par exemple le torrent d’émotions que déverse My Heart can’t keep up with my Mind, la délicatesse infinie de Seraphina (qui survit même à l’absence de décollage lyrique de sa sublime version sur l’album), la mélodie parfaite de Anvils & Hammers… Le dépouillement voix – piano, avec la trompette jazzy par-dessus, suffit finalement à notre bonheur. Les tentatives plus « rock » sont moins convaincantes, même s’il faut reconnaître que l’enthousiasme avec lequel Born in the ‘70’s est interprété – avec la participation de Tom Bright – est communicatif.
Pour le rappel, alors qu’on a dépassé la limite des 23 heures, Ed, vêtu d’une belle veste brodée de mariachi, descend dans la salle, suivi de son trompettiste, pour nous jouer El Magnifico (la chanson…) sans aucune amplification. Et là, enfin – peut-être aussi parce que la chanson est terrassante de beauté –, alors que c’est fini, c’est totalement magique.
Si cette soirée aura été un peu en demi-teinte, nous n’avons rien vu ou entendu qui ait pu abimer notre amour pour Ed Harcourt. Espérons le revoir très vite, dans de meilleures conditions pour que sa musique superlative soit mieux mise en valeur.
Texte et photos : Eric Debarnot
J’ai adoré ce concert – la présence de Sweet Gum Tree – Arnaud Sautejaut a bien soutenu Ed.
En version dépouillée, car manque de moyens financiers, Ed fait vivre sa musique, l’émotion, et donne à découvrir de la superbe de ses compositions, quasi nues.
Je ne l’ai pas trouvé énervé ni stressé, déçu peut être mais c’était drôle, cela créait de l’humanité. Ça change de tous ces concerts réglés au millimètre. Pour moi c’était une belle leçon de vie musicale. Un artiste c’est ça.
J’aurais aimé « rentrer dedans » comme toi, mais je n’y suis pas arrivé. C’est vrai que j’avais un niveau d’attente très très élevé (l’un des concerts que j’attendais le plus cette année !!!). Sinon, comme j’étais au premier rang, très près de lui, je peux t’assurer qu’il était très très frustré !