Stone Hell ne ressemble à pas grand chose de connu : voilà une œuvre quasi iconoclaste, qui utilise « l’histoire de France », et un certain nombre de « mythes français » comme terrain de jeu, pour explorer les thèmes de la destinée et du profond ridicule de la condition humaine. Hilarant, stimulant et… singulier !
Connaissez-vous la Dame de Saint-Sernin, statue-menhir millénaire que l’on peut découvrir au Musée Fenaille de Rodez ? Eh bien cette œuvre a fasciné l’artiste ukrainien Nikita Kravtsov au point qu’il a convaincu l’auteur de BD Martes Bathori d’en faire « l’héroïne » d’une histoire vraiment pas comme les autres : un « conte de fées spécial » co-signé par un « monstre à deux têtes », Markita Kravthori, qui va la voir littéralement déféquée par un volcan alors qu’elle reposait dans les entrailles (le gros intestin !) de la terre, et devenir le témoin et l’acteur de l’Histoire du Monde, qui se résume ici largement – et ironiquement – à l’Histoire de France.
Stone Hell est un livre qui ne plaira guère aux électeurs du RN, et à tout ceux qui se délectent du grand roman français : oui, voilà « notre histoire » racontée ici de manière joyeusement iconoclaste en incroyable gloubi-boulga de faits historiques, de mythes et légendes, et de personnages de bande dessinée (Tintin et la Capitaine Haddock, Astérix et Obélix…), le tout dans une chronologie à la fois logique mais délicatement perturbée. Avec un soupçon de pornographie saine et joyeuse, de violence gore hilarante et d’horreur délicieuse pour incommoder un peu plus encore ceux que ce récit sans paroles – et quasiment muet, même si l’on imagine très bien les hurlements poussés ça et là par les protagonistes copulant ou agonisant au fil des pages !
Stone Hell est une BD qui aurait plu à Stanley Kubrick, surtout avant un trip à l’acide, parce que la Dame de Saint-Sernin a tout du monolithe noir apportant à l’humanité (car la France, c’est bien l’Humanité, non ?) non pas le savoir, mais bel et bien la barbarie, la cruauté et cette formidable stupidité qui nous anime de manière de plus en plus frénétique jour après jour. Et lui seul aurait pu en faire un film, réunissant Jésus, Jeanne d’Arc, Marie-Antoinette, Charles de Gaulle (et sa poupée gonflable qui parle), et bien d’autres figures « mythiques ».
En lisant Stone Hell, vous serez aux premières loges pour assister à la destruction des dinosaures, à la crucifixion du Christ (tueur de colombes), à la décapitation de Marie-Antoinette, à la création du chapeau-éléphant du Petit Prince, à l’épopée du radeau de la méduse, à la rencontre entre le Docteur Livingstone et Dracula, à la victoire du Général de Gaulle sur les nazis, à l’apparition de Johnny Hallyday ressuscité en mort-vivant sur la tombe de Jim Morrison au Père-Lachaise, et à des dizaines d’événements que vous n’aviez jamais encore osé imaginer vivre. Et à la fin, des cochons fascistes vivant sur une autre planète détruiront la terre, avant que nous le fassions nous-mêmes.
Le style graphique de Stone Hell est aussi audacieux que son « scénario », et il est souvent difficile de décider si certaines pages sont absolument sublimes ou horriblement laides. Mais ce qui est certain, c’est que la déconstruction iconoclaste de notre « Histoire » opérée par Markita Kravthori dans Stone Hell va bien au delà de la satire facile (même si le livre est très drôle), et fonctionne à un niveau symbolique qui en rend la lecture terriblement stimulante.
Eric Debarnot