Les enfants maigres, de Tang Loaëc est roman très court sur un sujet terrible : en Chine, les enfants volés pour travailler clandestinement dans des usines illégales. Un aspect effrayant de notre esclavage moderne.
Tang Loaëc est né de mère chinoise et de père breton : un métissage pas banal ! Un tel héritage l’a poussé sur les mers et il partage sa vie entre Paris et Shanghai. Son bouquin « Les enfants maigres » s’attaque à un sujet terrible.
On oublie trop souvent combien nos sociétés sont dures, violentes, impitoyables. En Chine, plus de 50.000 enfants sont enlevés à leur famille chaque année et obligés de travailler comme des esclaves clandestins dans des usines illégales. Ceux qui tentent de fuir sont bouffés par les chiens, si les gardiens ne les amputent pas d’une jambe ou d’un bras pour les revendre comme mendiants.
Un trafic innommable mais nécessaire pour produire à bas coût les gadgets dont nous avons besoin.
Pour ménager quelques respirations, le livre alterne les chapitres qui portent tous les mêmes titres :
➔ Un père au cœur arraché : le récit d’un père qui depuis huit ans parcours obstinément les villes de Chine (et la Chine c’est grand !) pour tenter de retrouver son fils volé.
➔ Des enfants volés : le récit de l’un de ces enfants volés, devenu esclave dans une usine clandestine.
« […] Ici nous fabriquons vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an, des coques de magnésium et de nickel pour des téléphones. »
Alors même si Tang Loaëc prend soin de nous avertir que cette histoire nous concerne bien tous (les téléphones), faut-il vraiment se plonger cette horrible histoire tandis que nous sommes abreuvés de catastrophes et de mauvaises nouvelles à longueur d’écrans ?
D’abord parce que c’est un ouvrage court (moins de cent pages) qui se lit rapidement avec une fluidité remarquable et un style agréable, on n’est pas chez Dickens. Les faits, rien que les faits, monsieur le juge.
En évitant le reportage, le pamphlet et même le procès uniquement à charge, l’auteur dresse un tableau précis des conditions de travail des enfants, qu’ils soient employés dans un commerce familial, une mine de charbon ou l’une de ces terribles usines.
Tang Loaëc évite tout misérabilisme complaisant. Le récit du père comme celui de l’enfant (peut-être son fils ?) sont exemplaires.
Pour nous faciliter l’approche, l’auteur a fait de son jeune personnage un warrior ou plus exactement un survivor et l’on pense souvent à L’Enragé de Sorj Chalandon.
La combativité du gamin nous permet de poursuivre la lecture en nous laissant entrevoir une petite lueur dans cette vie brisée dès la petite enfance.
Et puis il y a ce très beau dénouement dont l’élégance mérite à elle seule la lecture de ce tout petit roman, presqu’une nouvelle. On ne peut pas vous en dire plus ici mais sachez que ce n’est pas tout à fait un happy end, on reste en Chine et c’est pas Hollywood.
En dépit du terrible sujet, c’est une lecture coup de cœur que l’on ne peut que conseiller, histoire d’ouvrir les yeux sur notre monde pendant une heure ou deux.
Ça passe vite et puis ouf, on peut les refermer ensuite sur un bon polar horrifique et sanglant pour éviter les cauchemars.
« […] Eux ce sont les gras. Le terme désigne tant les chiens que les gardes. Nous avons pour eux le même jargon, la même haine. Certains courent à quatre pattes, d’autres sur deux jambes, c’est toujours après nous. Nous sommes les maigres, ceux qui travaillent du soir au matin – l’équipe paire – ou du matin au soir – l’équipe impaire. Douze heures d’affilée, c’est trop long. Le corps titube, l’esprit se brouille, les mains commencent à commettre des erreurs. C’est peut-être exprès.
[…] Ce n’est pas pour rien que les gras sont gras. Quand un enfant tente de s’enfuir, les gardes lâchent les chiens. On raconte chez les gardes que si les chiens attrapent le maigre ils le mangent, s’ils ne le rattrapent pas ce sont les gardes qui mangent les chiens. Ce sont les gardes qui le disent et les chiens sont gras. « Et qui mange les gardes ? » C’est la question préférée des maigres. En attendant, nous sommes du mauvais côté des crocs. »
Bruno Ménétrier