[Interview] Stéphane Amiel : le Festival les femmes s’en mêlent, édition 2024

Depuis plus de 25 ans, le Festival les Femmes s’en mêlent est un rendez-vous incontournable de l’automne pour tous les mélomanes qui s’émerveillent que les musiques contemporaines – rock, rap, mais pas que… – deviennent de moins en moins les domaines réservés des hommes. Et pour 2024, Stéphane Amiel, le responsable du festival, nous explique ce qui est au menu…

LFSM 2024 image

Les Femmes s’en Mêlent, c’est un rendez-vous indispensable pour les amateurs de musique qui en ont plus que marre de voir toujours les mêmes têtes – masculines, surtout… – sur scène. Depuis 1997, ce festival veut mettre à l’honneur les femmes dans la musique, et permet de découvrir des artistes qui bousculent les codes – souvent terriblement « machos » dans le Rock ou le Hip Hop par exemple -, explorent les styles : des femmes qui font littéralement « trembler » les scènes.

Tous ceux qui y ont assisté se souviennent encore de cette nuit devenue légendaire, en 2021, où Gustaf auraient quasiment pu faire couler la péniche de Petit Bain : véritable coup de poing contre le patriarcat musical, avec le talent dérangeant, l’énergie folle d’une inoubliable Lydia Gammill, ce concert incroyable nous a fait rêver d’un monde futur où ce seront les hommes qui auront besoin d’un festival équivalent pour défendre leur place !

A la veille de l’édition 2024 des Femmes s’en mêlent, nous avons voulu faire le point avec Stéphane Amiel, responsable du festival.

Benzine : Stéphane, peux-tu te présenter ?

Stéphane : Je suis un mâle blanc de plus de cinquante ans ! J’ai créé le Festival Les femmes s’en mêlent en 1997, avec l’association Bandido, qui n’existe plus. Il n’y a pas de directeur dans une petite équipe comme la nôtre, donc je suis surtout le programmateur et le plus grand supporteur des femmes s’en mêlent. J’ai tout vu, toutes les éditions, j’ai tenu le festival pendant tout ce temps avec plein de structures différentes !

Les femmes s en melent afficheBenzine : Quelle était l’idée au départ ?

Stéphane : L’idée ? C’est compliqué de se remettre 25 ans en arrière, une autre époque. L’idée, je crois me souvenir qu’elle est venue très simplement, entre deux copains qui aimaient les voix de femmes : lui était plus « musiques du monde », comme on disait à l’époque, moi plus pop, mais on avait ce goût en commun. On était en association pour monter des petits concerts dans les bars, et on s’est dit, pour le 8 mars, la journée internationale des droits de la Femme, pourquoi on n’organiserait pas des concerts qu’avec des femmes ? On a trouvé que c’était une super idée, une journée, le 8 mars 1997, dans plusieurs lieux de la capitale, et ça a commencé comme ça. Ensuite tu le fais une seconde fois, une troisième, et là tu te rends compte que, économiquement, ça ne va pas le faire : pour cette troisième édition, on était au Divan du Monde, une salle pour 500 personnes, on devait être 100 pour une artiste qui venait d’Israël, une autre d’Islande, et un troisième de New York… On a perdu tout notre argent, il n’y avait pas de volonté politique, tout le monde est parti, l’association s’est arrêtée. Il n’y aura pas de festival en 2000, et moi je reprendrai seul en 2001.

Benzine : Quelles évolutions notables y a-t-il eu durant ces quasi 25 ans ?

Stéphane : Oh, il y a en eu plein ! Artistiquement, on a vu la part grandissante des artistes femmes dans la production musicale, bien sûr. L’explosion aussi d’artistes françaises, et surtout à partir de 2018, notre programmation a été à plus de 50% française. Aujourd’hui, on pourrait presque faire une programmation totalement française, avec une riche variété de styles. Et l’évolution du positionnement de la société : durant les 10, 15 premières années, il était impossible de se présenter comme « festival féministe », c’était connoté tellement négativement qu’on ne pouvait pas le dire. D’ailleurs, moi, quand j’ai commencé, je ne savais pas qu’un garçon pouvait se dire féministe ! (rires) J’ai appris, à travers le festival… Tout le monde avançait masqué : quand on allait chercher de l’argent auprès de marques, la première question qu’on nous posait, c’est « Vous n’êtes pas un festival féministe, au moins ?« . Et nous on répondait : « Non, bien sûr que non, regardez, on est des hommes ! C’est un homme qui programme« …

Avec #MeToo, les années 2020, la donne a complètement changé, Il faut maintenant se déclarer militant, tout est politique. Ce qui est bien, c’est que la parole s’est libérée, mais il faut désormais se positionner sur des sujets comme par exemple « le genre ». Il y a des artistes femmes qui refusent de jouer dans notre Festival, en disant « Moi, je m’en moque du genre, c’est la musique qui est importante ». Ou des artistes qui disent : »Moi, je ne suis ni masculin, ni féminin ! ». Il faut donc s’adapter, décider d’une ligne directrice pour notre époque.

Nous sommes au service de « l’émergence », des nouveaux courants, des niches musicales, des artistes précurseurs. Ça s’appelle toujours « les femmes s’en mêlent« , on n’a pas envie de rajouter LGBTQIA+, ce qui serait absurde, mais ceux qui nous connaissent savent qu’on est tout ça, qu’on est dans ce mouvement-là. On accueille cette année Akira & le Sabbat qui se revendique féministe, avec des garçons qui ne revendiquent pas être des garçons, etc. Les femmes d’en mêlent, c’est un truc de libération avant tout !

Benzine : Est-ce que du point de vue « genre musical », vous avez quand même une sorte de cadre ?

Stéphane : On ne fait pas de chanson, on n’est pas connus pour ça. Avant on ne faisait pas de jazz, mais cette année on a Sophye Soliveau qui fait du jazz et aussi du RnB, à la harpe. Il n’y a pas de classique non plus, mais finalement on a eu des artistes avec des chœurs dans des églises ! Donc, finalement on ne s’interdit rien. C’est la rencontre qui va faire l’envie, qui va créer le désir. C’est aussi l’édition d’avant qui fait un contrepoids à l’édition d’après, avec l’idée de se surprendre nous-même. Après 25 ans, si je m’enferme trop, je vais étouffer, ça ne sera pas intéressant.

Benzine : Et du point de vue réponse du public ?

Stéphane : On a eu des années plus difficiles, par exemple en 2014, une édition au 104 qui a été très, très compliquée, et la société qui avait été créée a dû mettre la clé sous la porte, on n’avait pas trouvé la bonne approche alors qu’il y avait beaucoup de concurrence. En fait, tout le monde rit, parce que tous les ans, je dis : « Allez, c’est fini, on arrête ! ». Mais en 2019, on a vraiment arrêté, faute de subventions. C’est après le COVID que c’est reparti, il y a eu une nouvelle volonté politique sur l’égalité entre hommes et femmes : les femmes s’en mêlent est un super levier, dans la Musique en tous cas, un peu partout en France puisqu’on est dans 28 villes. On a créé Les femmes s’engagent avec ma collègue Adriana Rausseo pour voir comment s’engager encore plus : on est repartis dans d’autres directions avec des ateliers, des master classes, etc. pour créer un moment fédérateur et de partage. Les artistes nous disent qu’elles sont heureuses de venir, de revenir, et que c’est important pour elles. Par contre, la billetterie, c’est de plus en plus compliqué, avec tous les coûts qui augmentent alors qu’on ne veut pas avoir des prix de billets trop élevés… On est encore à un moment charnière, pour une économie fragile comme la nôtre…

Benzine : Parle-nous maintenant de cette édition, qu’est-ce que vous présentez de vraiment nouveau, spécial ?

Stéphane : Je te parlais d’Akira & le Sabbat, qui vient de Lyon, et qui est un OVNI sur la scène française : un jeune collectif sans leader, six individualités qui se partagent la parole, le temps de jeu. Ils ont un propos très militant, un appel à la jeunesse pour la lutte contre la précarité, la défense de toutes les minorités, un spectacle assez fou sur scène, avec une énergie intelligente mais sans filtre. Un peu comme les Bérus à leur époque. Parfois, ils vont vers autre chose qu’un concert normal… on danse avec le public, c’est une liesse populaire.

Il y a Laventure, deux garçons et deux filles qui viennent de Strasbourg, avec un rock nonchalant magnifiquement fait, à la Mac DeMarco. Il y a des choses très rock comme Habibi, un groupe de Brooklyn qui va clore le festival au Point Ephémère le 29 novembre, qui se présente comme une rencontre entre ESG et les Shangri-las… Ce sont des gens d’une autre génération. On aura une soirée rap, une soirée très électro française… Bref, on a à cœur d’avoir des générations différentes, des musiques différentes, et de montrer des choses qui changent…

Propos recueillis par Eric Debarnot le 25 octobre.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.