Rétrospective des années 60 vues par le petit bout de la lorgnette, c’est-à-dire nos goûts personnels plutôt que les impositions de « l’Histoire ». Aujourd’hui : « the Soul of a Woman », l’âme de l’une des plus grandes chanteuses de Blues des années 60, Janis Joplin !
On en connaît tous. On les a déjà tous entendus. Mais si. Tu l’as croisé, ce un mec qui t’explique que Céline Dion a une voix merveilleuse, que Lara Fabian fait partie des grandes voix de notre temps ou que l’on n’a pas choisi Hélène Ségara au hasard pour la comédie musicale Notre Dame de Paris… Ça y est ? Ça te parles ?
Le gars qui est persuadé que n’importe quelle gonzesse en excédent hormonal qui lui gueule dans les esgourdes est une putain de diva en puissance. Celui qui se dit que vu que sa grognasse à brushing dépasse les cent décibels sur All by myself, ce ne peut être qu’exceptionnel. Celui qui confond crier dans un micro et chanter. Celui qui pense qu’égorger un porc se rapproche du doux chant des sirènes de l’oncle Homère, ou qu’une putain de tronçonneuse éraillée débitant de pauvres arbres innocents lui rappelle étrangement une chanson du dernier album de la grande Lara Fabian. Ce même genre de personnes qui trouve que Zaz a un « joli grain » dans la voix, ou que Florent Pagny aurait pu faire un ténor magnifique et être l’égal, avec des cheveux sales et des bottes en serpent, du grand Luciano Pavarotti. Ces gens enfumés par ces trop nombreuses heures passées devant un Ruquier trop bon public, ou un Hanouna s’extasiant devant n’importe quelle connerie et promettant que si The Voice dépassait les dix millions de téléspectateurs, il roulerait un patin à Gilles Verdez.
Il est temps de revenir aux bases.
Temps de comprendre que la puissance vocale n’est pas le tout dans une voix. Comprendre qu’une voix, c’est avant tout une émotion, et pas qu’un vulgaire concours de décibels. Comprendre que la voix ne doit être que le moyen de transport le plus rapide de l’âme vers la bouche, et non pas la démonstration vaine des capacités pulmonaires de la dame (ou du monsieur).
Alors laissons les braillardes et revenons aux sirènes. Abandonnons les chanteuses et revenons aux femmes. Elles sont pourtant légion, les sirènes. Ces Billie Holiday, Nina Simone ou Edith Piaf, ces femmes qui foutaient leur âme à nue et nous filaient des frissons au creux des reins.
Il en est une de ces sirènes qui naquit par un froid matin de janvier 43 dans la petite ville de Port Arthur au Texas. Une petite enfance à écouter Bessie Smith ou Big Mama Thornton, à rêver d’ailleurs, à préparer sa voix étrange à la chorale de l’église. Une adolescence difficile pour la petite Janis Lyn Joplin, des années lycée où ses rêves, son tempérament artistique, viennent se briser sur une éducation trop rigide, et des camarades cons comme des bites qui passeront leurs bas instincts de rednecks à l’humilier, à l’insulter, la traitant de « Freak » ou de « Pig ». L’université ne la laissera pas tranquille non plus, puisqu’elle y gagnera le prix du « Garçon le plus laid » du campus. Elle leur en voudra éternellement.
Ces années forgeront la volonté de Janis. Les études ce n’est pas pour elle. Ce qu’elle veut c’est chanter, gueuler son Blues qui lui colle à la peau. Et partir. Décarrer de ce coin de Texas farci de buveurs de bière et d’esprits étriqués. Direction la côte Ouest. San Francisco. Elle y débarque en 1963 où elle commence la tournée des bars, crachant Blues éraillé et relents de Southern Comfort au visage effaré de Beatniks acidifiés. C’est le temps des expériences, et Janis ne s’en prive pas. Sa consommation de drogues et d’alcool augmente considérablement, tandis que sa consommation d’hommes (et de femmes) est loin d’être en reste.
En 1966, Janis est recrutée par Chet Helms pour être la voix d’un jeune groupe prometteur : Big Brother and the Holding Company. La carrière de la sirène du « Flower Power » est lancée. Deux ans plus tard en 1968, Janis Joplin et Sam Andrew quittent le groupe pour former le Kozmic Blues Band, et le 11 Septembre 1969 sort le premier album solo de Janis : I Got Dem Ol’ Kozmic Blues Again Mama!
Enfin seule ! Janis s’entoure de musiciens de studio, de la crème des jammeurs gravitant autour du San Francisco Sound. La diva voulait du cuivre, de la chaleur, du groove viril, mais correct: Elle l’a. On nage en plein Stax Style. Janis se forge un groupe à la dimension de sa voix exceptionnelle. Elle n’est plus la chanteuse d’un groupe, mais LA chanteuse accompagnée d’un groupe. Elle donne la pleine mesure de sa voix cassée sur des Blues électriques, griffant comme un tigre blessé dans la chair noire du Blues, ou jammant fiévreusement un Rythm’n’Blues brûlant, saturé de cuivres.
Janis vit le Blues dans sa chair, elle se met à nue, offre son âme à son public, ne lui cache rien. Elle pleure son Rythm’n’Blues, elle revit ses peurs, elle revoit ses humiliations. Elle exorcise ses souvenirs de sa voix au bord des larmes, sa voix rouillée qu’elle jette au ciel comme une prière, comme l’espoir d’une guérison de son mal être. Une voix douloureuse à l’image de ses plaies à l’âme toujours ouvertes, de ces coups de canif en plein cœur qui ne cicatriseront plus jamais et qu’elle désinfecte au bourbon et à l’héroïne.
Janis donne la pleine mesure de sa voix, grâce notamment à des proches qui, selon les vœux de la chanteuse, la tenaient éloignée de ses mauvaises fréquentations en la cloîtrant chez elle entre deux sessions d’enregistrement. Elle déchire son Blues, brûle son groove, comme Jimi foutait le feu à sa gratte, en écorchant sa voix jusqu’au sang, transcende son Kozmic Blues Band (presque trop sérieux, trop classique, comme peuvent l’être certains musiciens de studios) et rentre dans le club très fermé des grandes chanteuses de Blues par cette putain de grande porte.
Un an plus tard, la sirène aux bras troués s’endormira dans sa chambre d’hôtel, des rêves de gloire et de bonheur plein ses pupilles dilatées et ne se réveillera plus jamais, laissant le monde de la musique orphelin de l’une des plus belles voix du Blues de ce putain de XXème siècle.
N’en déplaise à Céline Dion.
Renaud ZBN
On se lâche bien au début de la chronique
C’est comme ça qu’on l’aime, notre Renaud ZBN !
Ouh, plus que quatre places pour caser The KINKS, Georges MOUSTAKI, Neil YOUNG, Françoise HARDY, CREEDENCE, LOVE, The YARDBIRDS, The BYRDS, CREAM, Harry NILSSON, Jimi HENDRIX, The WHO, The ROLLING STONES, Nina SIMONE, Michel POLNAREFF, Stevie WONDER, The ZOMBIES, …
Pas facile, les gars.
On aurait certainement dû faire un Top 30 ! Après, chacun d’entre nous a pris ses responsabilités ! Mais on va certainement passer au Top 30 (minimum) pour les seventies !
Bonne idée pour les années 60 ;-)
Cette décennie est incroyablement riche, n’est-ce pas ?
La plus riche de toutes, selon moi. Je n’ai jamais fini d’y puiser des merveilles, des idées nouvelles, des amorces de génie, des choses abouties, des voix, des textes, des musiques, des instruments, des messages, de l’art, quoi !
Merci beaucoup, en tout cas, je découvre plein de choses ici.
Caetano VELOSO,
ce très grand artiste,
et ce très grand album de 1968 !
J’ai oublié Margo GURYAN.
Je vois pas en quoi Joplin, ce serait mieux que les « conneries » (comme vous dites ) que vous citez au début de votre chronique ?
Et la mettre au niveau de Piaf, me parait excessif et sûrement dû à l’excitation que vous a procuré l’écriture de cette chronique , comme le sempiternel cliché des chanteuses qui « mettent leur âme à nu ». Tout ceci est un peu réchauffé. Et dans vos chroniques (comme chez vos voisins d’à côté), vous avez tendance le plus souvent à confondre dans un élan ridiculement « romantique » quelque peu vie et oeuvre.
Non, mais si, Eric, là quand même, Janis JOPLIN, c’est mieux que Céline DION.
Avant, pendant et après la prestation. C’est mieux, quoi.
@EricTR
C’est vrai que depuis Barthes, on sait bien que lier auteur et oeuvre n’est pas indispensable à l’analyse critique, mais ça n’est pas hors de propos quand le but (c’est dans le titre de la rétrospective) est de partager nos appréciations pour certains artistes.
Quand vous mentionnez nos voisins, j’imagine que vous ne parlez pas d’Effet Larsen ? (dont je ne me permettrais pas de malmener la ligne éditoriale, d’ailleurs. J’aime beaucoup l’article sur le Van Helsing de Sommers)