Momo – Gira : un grand sourire dans les oreilles

Avec son huitième album, Gira, le brésilien Marcelo Frota alias Momo ne signe rien moins qu’un chef d’œuvre, la preuve est faite avec ces 10 chansons que l’on peut encore innover dans un genre aussi normé que le MPB (musique populaire brésilienne).

© Dunja Opalko

Avouons-le nettement, notre rapport à l’exotisme est pour le moins complexe, à nous amateurs de la cause Pop. Bien souvent, notre regard sur les « musiques du monde » passe une forme d’ethnocentrisme qui nous pousse à appréhender ces univers au seul prisme de notre pensée d’occidentaux et d’européens. Pourtant, c’est assurément dans ces scènes-là qu’agit actuellement un esprit novateur, une recherche obsessionnelle d’un vocabulaire neuf. Avouons-le nettement, il y a parfois chez l’Indie Kid (que nous sommes tous un peu restés) une sorte de mépris qui confine parfois au racisme face à ces musiques des tropiques, nous éduqués à la froideur des nouvelles vagues européennes.  Pourtant, à quelques exceptions près, la Pop ne cesse de courir les mêmes territoires, d’anônner les mêmes sempiternelles formules tout en méprisant ce qui ne relève pas de ces canons esthétiques. Elle aurait assurément beaucoup à apprendre de cette sonorisation mondiale plutôt que de se lover dans ce repli identitaire.

Cela n’a pas toujours été ainsi. Claude Debussy, par exemple, à 27 ans découvre la musique Gamelan, ce folklore balinais, lors de l’exposition universelle de 1889 à Paris et cette découverte est sans aucun doute l’acte de naissance de la musique moderne européenne. C’est toujours l’hybridation qui a été à la source de grands renouveaux dans l’art. L’expressionnisme et les arts primitifs, les vieilles mélodies du folklore américain et la création du primitivisme de John Fahey ou Robbie Basho. L’Hybridation, ce n’est pas la réappropriation de vieux codes musicaux, d’une culture qui n’est pas la nôtre mais plutôt l’interaction entre des courants contraires, la collision entre les genres et les espace-temps. L’hybridation, c’est le seul et unique métissage qui compte, une forme d’assimilation par un jeu de paradoxes complexe, par un travail des contraires, conserver l’acquis et y induire une matière neuve qui nous est étrangère sans jamais totalement entrer en familiarité complète avec elle.

On peut préférer à cette hybridation, à ce métissage le terme de créolisation cher au romancier français Edouard Glissant. Terme qu’il définissait ainsi : J’appelle créolisation la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et les disharmonies entre les cultures, dans la totalité réalisée du monde-terre. (Traité du Tout-Monde, 1997)

Cette créolisation atteint son acmé dans ces pays où mille et une culture différentes se rencontrent, s’alimentent mutuellement et travaillent, aussi, ce phénomène étrange d’une métamorphose de la culture occidentale. Momo, alias Marcela Frota, avec son huitième album, Gira, entre totalement dans ce processus de créolisation, d’hybridation et de métissage. Lui qui vit désormais en Europe travaille cette matière de l’expatrié, cette mélancolie d’une terre perdue et fantasmée. On pourrait bien sûr inscrire son travail dans l’esthétique fantasque de la MPB, MPB pour Música popular brasileira, cette musique aux multiples ramifications, à mi-chemin de la Bossa Nova et des anticonformistes « tropicalistes », adeptes des grands mélanges avec le génie Milton Nascimento comme exemple ultime.

Mais plutôt que de répéter les inventions déjà pratiquées par les glorieux anciens, Marcelo Frota approfondit encore ses explorations. Sur ce disque très ouvert, on entend aussi bien du psychédélisme, de la Samba, du Jazz (beaucoup de Jazz !). On entend surtout et avant tout un musicien aux oreilles grandes ouvertes, une tolérance face aux influences par lesquelles il accepte d’être traversé. Momo nous ballade de continent en continent tout au long de Gira, de l’Afrique à la méditerranée, de la Jamaïque à Londres où il vit désormais. Momo fait l’apologie des mélanges interraciaux sur ce disque imprévisible et toujours passionnant.

Il faut dire que le brésilien est plus que bien entouré dans la production de Gira. Le casting d’artistes qui l’accompagne sur cet album ressemble à un catalogue de sommités dans son genre. Citons la saxophoniste baryton et flûtiste Tamar Osborn, la claviériste Jessica Lauren, le batteur Nick Woodmansey et la chanteuse Liz Elensky, tous les quatre membres du collectif Emanative auteur du magnifique Earth en 2018 mais aussi  la tromboniste Rosie Turton, le saxophoniste alto Alabaster DePlume, la violoncelliste Francesca Ter-Berg, le clavier Mikey Chestnutt et le percussionniste Magnus Mehta. Quand on écoute Gira, on retrouve beaucoup de ce qui nous interpelle dans le disque d’Emanative, ce non-respect des frontières entre les styles, les genres et la géographie musicale. Comme Earth, Gira joue avec le jazz sous toutes ses formes, qu’il soit spirituel, soul jazz, jazz cosmique, ou indo jazz. Il travaille également les musiques de transe maghrébines et moyen-orientales sans jamais se déparer d’une cohérence totale.

Malaxant une mélancolie toute 70s, la musique de Momo nous met un grand sourire dans les oreilles. On est subjugués par cet esprit de liberté qui transpire de chacune de ces chansons qui font la part belle à la seule instrumentation. Il faudra savoir aller au-delà de l’odyssée sublime qu’est Pára en ouverture du disque avec Jessica Lauren et découvrir les autres titres d’un disque toujours inventif, fébrile et vivant, joyeux et profond.

Gira est une belle réponse à l’intolérance sourde qui traverse nos sociétés, une ouverture aux autres, une générosité sans objectif à court terme, un acte simplement humain de partage, celui qui devrait continuer de nous définir, toujours.

Greg Bod

Momo – Gira
Label : Batov Records

Sortie le 18 octobre 2024

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.