Arrivant après une paire de chefs d’œuvre, Le Château Ambulant largue encore plus les amarres du réel, sans abandonner le tableau miyazakien de l’horreur de la guerre.
Découvrir Le Château Ambulant à sa sortie, c’était revivre ce que d’autres avaient connu dans les années 1960 et 1970. Payer sa place pour le nouveau film d’un cinéaste qui avait enchaîné une paire de films unanimement reconnus comme des accomplissements artistiques. Voir un nouvel Hitchcock après Sueurs Froides et La Mort aux Trousses. Voir un nouveau Francis Ford Coppola après Le Parrain et Conversation Secrète. Et donc voir un nouveau Miyazaki après Princesse Mononoké et Le Voyage de Chihiro.
Même s’ils étaient minoritaires, il y eut des déçus/déçues reprochant au cinéaste de se répéter parce qu’ils repéraient tel ou tel motif déjà vu dans un film précédent. A titre personnel, je partageais en partie ce sentiment de surplace. Tout en considérant que le nouveau coup d’accélérateur en terme de baroque suffisait à faire du film une réussite et une fête graphique.
On pourrait en premier lieu mettre cette apparence de répétition au crédit du cinéaste, comme reflet de la réappropriation du travail d’une autre. Le scénario est cette fois un scénario non original, tiré du roman de 1986 Le Château de Hurle. Roman signé de l’écrivaine britannique Diana Wynne Jones (autrice de romans fantastiques pour enfants et adultes). Un matériau que Miyazaki a totalement plié à son univers de cinéaste. Evoquée de façon indirecte dans le livre, la guerre est par exemple mise au premier plan par Miyazaki. Simple tour de sorcier dans le roman, le château devient lui une habitation ambulante animée par magie et moteurs à vapeur.
L’élément de vrai renouveau chez le cinéaste vient justement du roman. Résumé par ce dialogue : -Tu le désires tellement ? -Oui. Dans un cinéma pas réputé jusque là pour son caractère sexué, le désir est cette fois un moteur narratif. Travaillant dans la chapellerie autrefois tenue par son père décédé, Sophie rencontre le magicien Hauru lors d’une de ses rares sorties. Jalouse, la sorcière des Landes lui jette un sort, la transformant en vieille dame. La perte de désirabilité est la punition. Comme dans Le Voyage de Chihiro, un conte fantastique initiatique peut commencer.
Evoquer le désir pour Miyazaki, c’est immédiatement pointer le caractère trompeur des apparences, apparences qui varient pour bien des personnages du film. Perdre en désirabilité et en énergie par rapport à sa jeunesse est d’ailleurs compensé chez Sophie par un gain en expérience. Un gain qui lui permettra d’affronter les épreuves du récit.
Après Princesse Mononoké, horreur de la guerre et antimilitarisme pointent de nouveau le bout de leur nez chez Miyazaki. Mais avec des allusions encore plus directes au militarisme japonais de la Seconde Guerre Mondiale. Les civils qui au début du film encouragent les soldats en leur demandant de terrasser l’ennemi. Le C’est écrit qu’on a gagné., allusion directe aux mensonges de la propagande militaire japonaise.
Le monde magique du film existe cette fois en contraste avec les morts et les bombardements. La magie ou un pacte faustien passé avec une flamme qui parle peuvent avoir de tristes conséquences. Mais ce n’est rien à côté de la guerre. Un monde où il est possible de défier les lois de la gravitation au son d’une valse de Joe Hisaishi ou de vivre dans un château au design industriel démentiel n’est pas si désagréable que ça en comparaison.
La force du Château Ambulant pourrait être résumée par ce moment où des monstres marchent en tenues de soldats. Un plan faisant penser à la mythique scène du J’accuse d’Abel Gance où les soldats de 1914-1918 sortent de leurs tombes tels des zombies. Dans les deux cas, le fantastique est le moyen d’évoquer les souffrances réelles de la guerre.