Sans trop s’éloigner de son registre habituel, Emmanuel Mouret livre avec Trois Amies un nouveau bijou d’écriture et de direction d’acteurs et d’actrices qui réjouira ses adeptes et laisser le reste du monde indifférent. Tant pis, tant mieux.
Un nouvel Emmanuel Mouret, ça n’émeut guère la France, qui préfère les cas sociaux de l’Amour Ouf, sans doute plus proches – malheureusement – de la réalité quotidienne (à moins qu’il ne s’agisse de fantasme) de la France de 2024. Car qui croit encore à une société où les profs et les artistes joueraient le moindre rôle ? Pour nous, adeptes d’une certaine idée du cinéma français, qui se serait nourrie des codes d’une partie de la Nouvelle Vague (bon, Rohmer, Truffaut, et peut-être Rivette, finalement…) pour toucher un public intéressé par des histoires quotidiennes d’amours passionnés ou empêchés et d’amitiés indéfectibles mais peut-être trahies, l’annonce d’un nouveau film de Mouret nous remplit de joie.
Et avec ce Trois sœurs, qui fait suite aux deux réussites qu’auront été Chronique d’une Liaison Passagère et surtout le génial Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, Mouret ne nous déçoit pas. Marketé de manière assez vaine comme la prochaine Rom Com que vous adorerez, Trois sœurs a peu de points communs avec une comédie romantique à l’anglo-saxonne, même si nous aurons versé notre content de larmes et aurons souri, voire ri très souvent : c’est que dans cette histoire fleuve de deux heures – qui suivant vos goûts vous paraîtront interminables ou au contraire trop courtes -, les histoires d’amour de ces fameuses « trois amies » partent littéralement dans tous les sens, et que, à l’exception du trajet assez classique de la « comédie du remariage » entre Alice et Eric, le spectateur est bien en peine de prévoir de quelle manière tous ces petits coups de foudre et gros malentendus vont s’entremêler, et sur quoi tout cela peut déboucher. Et avouons-le, cette merveilleuse imprévisibilité de la vie, filmée avec toute la grâce et la liberté dont Mouret est capable, nous a ravis…
En termes de petite évolution du cinéma d’Emmanuel Mouret, on notera quand même que, tout en restant fidèle à sa passion pour les sujets « à la Marivaux« , il s’éloigne peu à peu du cinéma très « rohmerien » de ses débuts, que ses personnages – interprétés par des acteurs et actrices régulièrement en état de grâce (India Hair, comme très souvent, est extraordinaire tout au long du film) – sont moins bavards que chez le « Grand Eric ». Et que leurs trajectoires sont finalement bien plus cruelles : loin, très loin du sucre et de la mièvrerie inhérente au genre de la comédie romantique, ici on meurt, on sombre dans la dépression, on se résigne à tout un tas de petits arrangements avec l’amour qui n’ont rien de noble, on se heurte aux murs dans ce grand labyrinthe émotionnel qu’est la vie amoureuse et conjugale.
Les mensonges restent cachés, les révélations n’ont pas lieu, et il n’y a pas à la fin de morale philosophique comme dans les Contes Moraux ou les Comédies et Proverbes. Juste des petits moments de bonheur, ou simplement de joie, dérobés à l’existence. Et de belles rencontres, même éphémères, entre des gens qui n’en feront pourtant rien. Et de ces moments improbables où la bienveillance et l’amour se matérialisent comme par magie sous nos yeux : c’est d’ailleurs une nouvelle fois Vincent Macaigne, un habitué de chez Mouret, qui nous offre les instants les plus bouleversants.
Bref, un nouvel exemple de cinéma qui est « comme la vie », avec juste un petit truc en plus qui tient du miracle. Merci, Monsieur Mouret !
Eric Debarnot