La première incursion d’Alfonso Cuarón dans le milieu de la série TV se révèle magistrale : intrigue et mise en scène malaisantes et fascinantes, casting parfait… le téléspectateur s’engouffre dans un univers retors et complexe, qui ne montrera sa force qu’au prix d’un effort peu agréable mais nécessaire. Puissant, à défaut d’être totalement convaincant dans sa conclusion.
« Attention au récit et à la forme » lance au tout début de la série une femme qui va remettre un prix à Catherine, journaliste engagée et renommée. Elle le lance à l’assemblée réunie pour cette soirée de récompenses, mais finalement, arrivés au terme de la série, on se dit qu’elle l’a balancée aux téléspectateurs, confortablement installés devant leur écran. Pour pas longtemps…car Disclaimer est tout sauf une série confortable.
Adaptée du roman de Renée Knight, l’intrigue relate le parcours de trois personnages principaux : Nancy, dont le fils Jonathan est mort noyé en Italie, et qui détaille dans un roman à paraître les circonstances de ce drame, accusant une Anglaise, Catherine, de l’avoir laissé mourir alors qu’il sauvait son enfant dans la mer. Stephen, son mari qui découvre le manuscrit-brûlot et veut anéantir la vie de Catherine en exhumant ce passé trouble qu’elle a toujours tenu secret, et enfin Catherine elle-même, dont la descente aux enfers suite à ces révélations va trouver un autre écho avec sa propre version des faits qui ont conduit au drame passé.
L’ambition de Disclaimer est claire dès le premier épisode : malmener le spectateur, le faire douter jusqu’à la révélation finale. Qui est la victime, qui est l’ordure dans cet enchaînement de révélations en forme de ping-pong incessant entre le drame italien vingt ans auparavant et le roman qui paraît aujourd’hui et ses conséquences pour tout le monde ? Alfonso Cuarón distille avec classe et savoir-faire la lente et gênante infusion des sentiments de honte, de vengeance sourde, de chagrin inconsolable et de désir de vérité qui plongent les protagonistes dans des situations dramatiques. Et nous sommes constamment sollicités dans nos préjugés, nos jugements et nos propensions à désigner des salauds ou des victimes en fonction des propositions données par chacun. Différentes voix-off viennent parsemer les scènes qui reconstituent les dires de chacun, scènes souvent malaisantes, d’une impudeur et d’un érotisme froid, ou de pure tension sourde, comme un thriller étouffant des âmes et des secrets enfouis par tous.
Pour cela, outre une réalisation au cordeau, il fallait une interprétation hors pair : elle l’est. Cate Blanchett excelle dans un rôle de beauté froide, à la fois robuste et fragile dans ses retranchements, qui rappelle son exploit dans Tár ; Kevin Kline, qu’on a plaisir à retrouver, campe avec maestria un père meurtri dont le chagrin se transforme en colère froide et destructrice, et tous les autres rôles plus secondaires sont au diapason des sentiments intenses qui leur sont conférés.
Cependant, les révélations finales – un écho évident à notre ère #MeToo – ternissent un peu la qualité de Disclaimer, la faute à une incohérence majeure (est-ce le même défaut du roman ?) dans l’histoire et qui laisse un arrière-goût un peu fade, à base d’interrogations nombreuses sur ce que l’on vient de lentement regarder. Impossible d’en dire plus sans gâcher la vision de la série, mais tout cela va forcément diviser les fans et les détracteurs de cette folle intrigue à plusieurs voix. Alfonso Cuarón, en tout cas, continue son expérimentation artistique d’œuvres léchées, à la limite du maniérisme parfois, mais qui impose une plongée exigeante dans des personnages et des situations toujours troubles et qui malmènent ceux qui veulent bien s’y engouffrer. Une vraie curiosité.
Jean-François Lahorgue
Disclaimer, mini-série d’Alfonso Cuarón
Genre : Thriller dramatique
avec : Cate Blanchett, Kevin Kline, Sacha Baron Cohen
7 épisode de 60 mn environ, mis en ligne (Apple TV+) d’octobre à novembre 2024