L’idée d’une suite à Gladiator n’avait absolument rien d’attrayante, et ce « sequel » tombe dans pas mal de travers prévisibles… mais est sauvé de l’échec par ses interprètes.
S’il y a une chose dont le monde n’avait pas besoin, c’est bien d’un « sequel » de Gladiator, l’un des derniers véritables bons films de Ridley Scott. D’ailleurs, les latinistes ne se priveront pas en l’occurrence de rappeler la fameuse citation, « Bis Repetita Non Placent » : refaire les mêmes choses ne plaît pas (sous-entendu, au public). Mais, quand il s’agit de répéter les mêmes choses en espérant remplir le tiroir caisse, le cinéma US a tendance à en oublier son latin (pour autant qu’il en ait jamais eu…).
Gladiator II, donc. Le film suit la trajectoire de Lucius, fils de Lucilla, fille de Marc Aurèle, caché par sa mère pour qu’il échappe au sort funeste que Rome lui réserve, et qui s’est retrouvé finalement compagnon de Jugurtha, roi de Numidie. Quand la flotte romaine, menée par le brillant général Marcus Acacius, attaque la capitale de Numidie, Lucius est capturé et jeté comme gladiateur dans l’arène du Colisée, pour le bon plaisir des empereurs jumeaux Geta et Caracalla. Il va ainsi se retrouver marcher sur les traces de son père Maximus…
Faisons l’impasse sur le manque de respect flagrant de l’histoire romaine, et les anachronismes qui se ramassent à la pelle : après tout, depuis Napoleon, on sait que la vérité est le dernier souci de Ridley Scott. La première évidence qui s’impose très vite au spectateur, c’est que Scott et ses scénaristes se sont donnés la peine de raccorder le mieux possible leur nouvelle histoire à celle de Gladiator, au prix d’invraisemblances nombreuses sur lesquelles le spectateur bienveillant fermera les yeux, s’il est plus ou moins désireux de passer un moment devant un bon vieux « peplum » des familles. La seconde, bien moins facile à avaler, c’est que le principe de Gladiator II est de raconter peu ou prou la même chose que son illustre prédécesseur en en faisant plus, beaucoup plus, histoire de nous en mettre plein la vue et de justifier son existence. Le déroulement de l’histoire est à peu près le même, rendant le film totalement prévisible : finalement, la seule surprise pour le spectateur résulte de la manipulation conduite dans la bande annonce, les personnages de Acacius (Pedro Pascal) et Macrinus (Denzel Washington) se révélant radicalement différents de ce qu’il semblent être dans celle-ci. Mais si la seule astuce des scénaristes, c’est de fourvoyer le spectateur grâce à la bande annonce du film, on est bien loin du cinéma, même commercial, non ?
Il reste donc ce fameux « plus » : deux empereurs fous au lieu d’un, un rhinocéros, des requins et des singes « mutants » à la place de « simples » tigres à affronter dans l’arène, un combat naval plutôt qu’une course de chars, plus de twists, et un grand discours grandiloquent à la fin, sans doute rajouté pour signifier à Trump que le « rêve américain » est celui de la démocratie, du mélange des races, et non de la dictature de quelques illuminés… Et, bien entendu, beaucoup, beaucoup plus de sang, comme si la violence des conflits ne pouvait exister à l’écran que via des flots d’hémoglobine. Le seuil du ridicule est régulièrement franchi, ce qui fait naître des craintes quant à la sénilité grandissante de Ridley Scott.
Heureusement, en dépit de tout cela, Gladiator II se regarde avec plaisir, grâce à ses interprètes. Paul Mescal, qu’on connaît surtout pour son interprétation sensible dans le formidable Aftersun, est curieusement crédible, certes moins charismatique que Russell Crowe, mais bien plus humain. Denzel Washington, en surjeu continuel, semble se régaler, et nous entraîne sans peine à sa suite dans ses manipulations perverses et ses « coups à trois bandes » (pour les amateurs de billard…), même si l’on pourra occasionnellement trouver son interprétation trop « moderne » et décalée par rapport au reste du film. Quant à Pedro Pascal, il confirme ici en quelques scènes quel très grand acteur il est : il porte quasiment seul toute l’émotion du film, et on rage qu’il n’ait pas eu l’opportunité d’en faire « plus », lui : plus au centre de l’histoire, il aurait même pu transformer Gladiator II en un bon film.
Eric Debarnot