Raoul Vignal – Shadow Bands : une envie d’épure constante

Raoul Vignal poursuit une carrière discrète qui confine parfois à un injuste anonymat. Shadow Bands, son 4ème album est encore une fois magnifique comme à l’habitude, avons-nous presque envie de dire…

©Sarah Bourge

Le renouvellement, cette vaste farce ou cette artifice, cet argument de vente ou d’achat derrière lesquels nombre de musiciens se cachent. Pourquoi ne pourrait-on pas dans le cadre codifié de la Pop poursuivre une recherche obsessionnelle des sempiternelles mêmes formes ? Pourquoi ne pourrait-on pas répéter à l’infini ces formules mille fois entendues ? Pourquoi ne pourrait-on pas comme un peintre revenir mille fois sur un croquis, épuiser une silhouette jusqu’au dernier effort ? Le renouvellement, c’est cette vieille idée rassurante souvent synonyme de révolution mais qui finit souvent en simple révolution de salon. On est en droit de préférer à ces sophistes de la cause Pop ces artisans humbles simplement conscients de composer ces petites choses que l’on appelle des chansons. Rien de plus, rien de moins.

Le lyonnais Raoul Vignal signe finalement toujours un peu le même disque mais c’est toujours mieux, toujours plus abouti et toujours plus maîtrisé. Comme quoi, on peut rester dans le même pré carré et toujours provoquer la surprise et l’émerveillement. Dans la « Pop » actuelle, il y a selon moi deux artistes qui sont dans deux démarches très différentes mais qui atteignent un objectif assez proche. Une démarche faite de paradoxes où l’on creuse le même sillon mais où les mélodies semblent grandir de disque en disque, se nuancer et gagner en expansion et en force. J’ai envie de tisser un lien presque contre nature entre les travaux de Raoul Vignal et ceux du britannique Matt Elliott pour ces deux oeuvres toutes les deux à la fois obsessionnelles et monomaniaques, expansives et intimes. Ce quatrième album de Raoul Vignal prolonge à peu de choses près les merveilles entendues sur Years In Marble (2021), Oak Leaf (2018) et  The Silver Veil (2017) sauf que…

Sauf que à la manière donc d’un peintre, Raoul Vignal joue avec les nuances. S’il était un peintre justement, il serait assurément un peintre impressionniste, un pré-impressionniste peut-être, Turner, le Courbet des paysages, le Monet des Nymphéas, un fauviste peut-être qui joue avec les couleurs automnales, l’orange et le marron clair… Un pointilliste peut-être. La musique de Raoul Vignal ressemble à ces tableaux dans lesquels on aimerait vivre, ces existences qui paraissent idéales sur ces toiles. Un peu comme ce tableau de Felix Vallotton, Le Ballon, les chansons de Raoul Vignal peuvent sembler inoffensives. Pourtant, qui sait s’attarder sur l’oeuvre  de 1899 du peintre saura deviner derrière ces couleurs chatoyantes un semblant de menace, une terreur sourde à la marge du tableau. Il en va de même pour les chansons de Vignal, elles semblent presqu’anodines, anecdotiques mais elles sont avant tout un trompe l’oeil pernicieux, elles s’habillent d’une douceur pour mieux nous saisir et ne plus nous lâcher.

Tout est trop doux ici pour être honnête. Tout ici n’est qu’un jeu d’illusions. C’est sans doute pour cela que Raoul Vignal convoque les mythes sur Shadow Bands comme sur le magnifique et troublant Icarus en ouverture. Troublant et bouleversant  ce titre qui rappelle dans son urgence le Asleep des Smiths. Avec une élégance, une humilité,  de la profondeur et du recul, sans jamais appuyer le propos, Raoul Vignal chante l’indicible, l’adieu à la vie sur un disque plus tourmenté qu’il n’y paraîtrait à une simple écoute distraite. La musique de Raoul Vignal n’appartient aux sentiments paroxystiques, il joue peut-être plus avec une forme de nivellement émotif, posant un regard ni vraiment neutre ni seulement impliqué sur les drames présents dans ses chansons.

Ce qui participe de ce sentiment d’expansion à l’écoute de la discographie du lyonnais, c’est que d’album en album, les arrangements, le savoir-faire s’étoffent sans jamais totalement perdre de vue une envie d’épure qui constitue la ligne directrice de la carrière de Raoul Vignal. Ceux qui y verront de la linéarité ne méritent pas ce disque car Raoul Vignal s’exprime par les détails. Les arrangements de Vignal sont toujours plus beaux, toujours dans cette idée de ne jamais trop briller, trop timides pour s’affirmer et suffisamment pertinents pour nous briser le coeur. Alors, bien sûr, on entendra encore ici et là l’influence de Kings Of Convenience mais Raoul Vignal ne chante pas une Bossa Nova solaire ou alors il l’habille de couleurs crépusculaires ou saisonnières. La musique de Vignal c’est un ciel d’octobre, chargé de nuages  avec ce soleil masqué et blanc qui nous aveugle.

On se plait à imaginer ce que donnerait son univers avec des textes chantés en Français, ce que donnerait cet espace géographique difficile à placer sur une carte du monde, le Folk de Vignal n’est pas seulement Folk, il est Power Folk comme sur le superbe South Brother. Il est apatride, singulier et unique.

Le renouvellement une vaste farce, un enjeu pour les seuls critiques. Quand on est un artiste comme Raoul Vignal, on n’ a que faire ces artistes contrariés que nous sommes, nous, pauvres critiques et pauvres auditeurs que nous sommes. Quand on est un créateur comme Raoul Vignal, on n’a que faire de l’avis des autres, on trace son chemin sur une droite sinueuse, on découvre, on se découvre, on se perd parfois mais on continue de fouiller et encore fouiller à la recherche de la chanson, la seule chanson qui n’est pas encore là, celle après laquelle on court toute une vie…

Toute une vie

Greg Bod

Raoul Vignal – Shadow Bands
Label : Talitres
Sortie : le 09 novembre 2024

1 thoughts on “Raoul Vignal – Shadow Bands : une envie d’épure constante

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