Pour son dixième long métrage, Hayao Miyazaki nous immerge dans un fascinant univers aquatique, tout en renouant avec le monde de l’enfance, un univers qu’il avait déjà abordé dans Mon voisin Totoro.
Je ne me lasse pas des premières scènes de Ponyo sur la falaise. Vous êtes un poisson. Je suis la mer. À moins que ce ne soit l’inverse. Tout y est beauté, calme et volupté. La musique symphonique, la grâce marine et iodée, la délicatesse infinie d’une nature assagie, apaisée, végane et irénique. Les poissons et les méduses sont mes amis. Les bestioles et le bestiaire rampant, flottant, ondulant, batifolent dans l’onde. La mer est belle, la lumière surnaturelle. Quand, soudain, sans transition, un chalut, des immondices et la trop humaine pollution déferlent à l’écran. Je tousse, pleure et crache. Putain d’humains !
Ceci dit, réduire Ponyo sur la falaise à sa séquence d’ouverture serait faire affront au Maître. Ponyo est un poisson à demi-humain, qui, à force de la volonté, va se faire petit d’homme. Faisant fi des ordres de son sorcier de père, des équilibres cosmiques et des risques encourus, elle bouscule conventions, interdits et coutumes : « Ponyo veut des mains et des pieds ! »
Ponyo sur la falaise s’adresse au bambin naïf qui sommeille, ou devrait sommeiller, en chacun de nous. Ponyo aime et se donne les moyens de rejoindre l’objet de son amour, quitte à affronter son père, à fâcher sa mère et à mettre en péril, involontairement, la pérennité du monde. L’amour enfantin ne compte pas et ne triche pas. Miyazaki demeure réaliste, l’enfant ne peut pas tout, tout seul. La réussite de sa quête exigera l’aval d’une divinité bienveillante, ici la mère océan, et, plus difficile encore, l’amour sans condition d’un être humain.
Dans un monde de l’animation voué au manichéen et au simpliste, les personnages de Miyazaki revendiquent leur complexité, tout en conservant leur part de mystère. Ainsi, les pensionnaires accablées de la maison de retraite reprennent gout à la vie. Plus surprenant, le sympathique père de Ponyo se révèle être un sorcier misanthrope, voire un savant fou décidé à éradiquer l’espèce humaine, comme au bon vieux temps du Cambrien. Par chance, il se laissera attendrir.
Autour de Ponyo, tout est grâce, je retiens :
- L’exactitude des mots, des gestes et des positions de Sosuke, qu’il passe sous une barrière en protégeant le contenu de son seau ou qu’il donne, avant de s’éloigner, ses consignes à son poisson rouge.
- La charmante scène de colère amoureuse, avec Lisa abandonnée sur le canapé.
- Les messages par signaux lumineux de Sosuke à son marin de père, une idée que reprendra Goro avec les drapeaux « flottants » de La Colline aux coquelicots.
- Le cimetière de bateaux, l’équivalent marin du panthéon aérien de Porco Rosso.
- Sans effets spéciaux, mais par le seul travail du crayon, la mer déferle, les poissons jaillissent, Ponyo court sur la tempête sur la musique triomphante de Joe Hisaishi, aux faux airs wagnériens.
- L’extraordinaire travail sur les vagues, tour à tour, douces, joyeuses, féériques ou colériques.
- Ou encore, les ombres paisibles et désormais familières des monstres marins, arpentant, nageant et flottant.
Hayao Miyazaki nous rend la vie plus belle, plus acceptable. Merci.
Stéphane de Boysson