« Les Évasions perdues », de Thomas Legrand et François Warzala : manuel de résistance idéologique et morale

Thomas Legrand et François Warzala racontent l’histoire vraie de la longue captivité d’un jeune homme idéaliste et courageux, durant la Seconde Guerre mondiale. Il en sortira marqué à vie, mais grandi.

Les Évasions perdues - Stablack, l'université de la collaboration Thomas Legrand et Warzala François
© 2024 Legrand / François / Rue de Sèvres

Journaliste à France Inter et à Libération, Thomas Legrand tire son récit des souvenirs des cinq années de captivité de son père. Ce dernier était si peu loquace, que le scénariste a été contraint de compléter son témoignage. Pour marquer cette distance avec la stricte vérité historique, le personnage principal a été renommé « Jacques Leboy ».

Les Évasions perdues - Stablack, l'université de la collaboration Thomas Legrand et Warzala FrançoisÂgé seulement de 19 ans à la déclaration de guerre, Jacques devance l’appel et s’engage. Nommé aspirant – c’est-à-dire élève officier –, il commande une section de coloniaux algériens. Sa guerre est courte. À sa sidération, l’armée française s’effondre. Il est fait prisonnier et est envoyé en Prusse orientale à l’Aspilag I-A, un camp réservé aux aspirants français. La grande majorité sont d’anciens étudiants issus de milieu bourgeois. Souhaitant en faire la matrice de sa future révolution nationale, le Maréchal Pétain obtient de l’armée allemande un statut spécial pour le camp, avec un encadrement, pour partie, français.

Le dispositif, aussi bien scénaristique que graphique, rappelle l’excellente série Stalag IIIB de Jacques Tardi. Le trait semi-réaliste épuré et précis de François Warzala est agréable et sert l’histoire. Les personnages sont bien croqués et l’environnement parfaitement reproduit. Presque uniquement kaki et vert-de-gris (le Feldgrau nazi), la colorisation vient renforcer l’impression de monotonie et de coupure avec le monde libre.

Les aspirants sont soumis aux brimades de leurs gardiens et à la propagande vichyste. Jacques sympathise avec deux camarades, un gaulliste et un communiste. Tous trois sont décidés à s’échapper. La première partie tire un peu en longueur. Thomas Legrand prend le temps de décrire la vie quotidienne des captifs, leur isolement et leurs tentations. Très vite deux camps s’opposent. Les résistants et les autres. Au début, les premiers se cachent, tandis que les seconds fanfaronnent. Les mois passent, puis les années, progressivement, les rôles s’inversent.

Dans une seconde partie, l’histoire s’accélère et les évasions se précipitent. La scène dans le wagon est d’un rare intensité. En quelques instants tragiques, Jacques prend conscience de son privilège de classe et d’âge, et des responsabilités qui en résultent. Avouons, qu’il les assumera.

Stéphane de Boysson

Les Évasions perdues – Stablack, l’université de la collaboration
Scénario : Thomas Legrand
Dessin :  François Warzala
Éditeur : Rue de Sèvres
136 pages – 22 €
Parution : 18 septembre 2024

Les Évasions perdues – Stablack, l’université de la collaboration — Extrait :

Les Évasions perdues - Stablack, l'université de la collaboration Thomas Legrand et Warzala François
© 2024 Legrand / François / Rue de Sèvres