The Penguin est un excellent divertissement, qui abuse de facilités scénaristiques et manque finalement de cette profondeur qui l’auraient rapproché de ses sources d’inspiration. Mais qui a pour lui une belle interprétation de Colin Farrell, et une noirceur assez audacieuse.
La dernière série HBO a été lancée avec le support de critiques élogieuses comme « les Sopranos chez Batman« . Notre contre-proposition sera donc « le Parrain de Gotham City » : après tout, puisqu’on est dans les références « excessives » pourquoi pas Coppola plutôt que David Chase ? Pourquoi pas l’original plutôt que la « copie déconstruite » ? Ces deux comparaisons sont de toute manière bien exagérées par rapport à l’objet de divertissement « bien de notre époque » qu’est The Penguin , c’est-à-dire une excellente série TV, oui, mais bien loin des deux chefs d’œuvre absolus référencés.
The Penguin est donc conçu comme un spinoff du film de cinéma The Batman (2022), de Matt Reeves, qui, sans être une merveille, avait convaincu son public grâce à un ton extrêmement sombre, et une certaine élégance dans sa photographie (plus encore que dans sa mise en scène, en fait). Il nous raconte en 8 épisodes l’ascension à la tête de la pègre new-yo…, pardon de Gotham City, du « Pingouin », personnage assez secondaire du film, interprété par un Colin Farrell méconnaissable sous un maquillage très réussi. Nul suspense sur la réussite des plans diaboliques du Pingouin, maître en manipulations psychologiques, puisque son règne sur la ville fait partie de la « saga Batman » : on se souvient d’ailleurs de la belle composition offerte par Danny De Vito dans le Batman Returns de Tim Burton, qui a constitué probablement une sorte de défi à relever par Farrell. Il s’agit ici d’être témoin du COMMENT : comment passer en quelques mois de chauffeur infirme, défiguré et complexé de la famille mafieuse la plus puissante de la ville à « parrain » de la pègre. Tout en revenant aussi sur l’enfance du « monstre », sur les événements qui en ont fait un être aussi dangereux.
Après un démarrage assez « chaleureux » (bon, n’exagérons rien) tournant autour de la rencontre entre le Pingouin et Victor Aguilar, jeune adulte en perdition suite à la perte de sa famille, mais surtout autour de la sortie de l’asile où elle était enfermée de Sofia Falcone, héritière perturbée de la principale famille de la Mafia locale, la série nous distrait un moment avec les jeux de manipulation opérés par le Pingouin pour profiter du « trou d’air » créé dans le contrôle de la ville et par les destructions massives causées par The Riddler (revoir le film si nécessaire… et par la mort de l’héritier mâle du clan Falcone. Mais ce qui est en fait le « vrai sujet » de la série, et qui la rend singulière, attachante presque, c’est la question de la relation très perturbée entre le Pingouin et sa mère, qui va peu à peu ouvrir les vannes d’un passé particulièrement horrible. Jusqu’à un dernier épisode, A great or little thing, où Lauren LeFranc et ses scénaristes vont pousser tous les curseurs dans le noir absolu, et tenter de « dépasser les bornes » de la série TV grand public » : une construction de la série en crescendo émotionnel qui est un pari culotté, mais qui porte indiscutablement ses fruits.
Mais si la série fonctionne aussi bien, malgré des truc scénaristiques assez grossiers, et de trop nombreuses invraisemblances dans la manière dont le Pingouin se tire systématiquement d’affaire dans des situations qui semblent perdues, c’est grâce à la qualité de son interprétation : Colin Farrell, en dépit du handicap d’avoir à jouer avec le visage dissimulé, réussit à conférer une vraie profondeur humaine et donc à créer chez les spectateur une véritable empathie pour le Pingouin, alors même que chaque épisode révèle un peu plus de sa monstruosité. Face à lui, Cristin Milioti, encore quasiment inconnue mais qui ne devrait pas le rester, construit une antagoniste aussi fascinante que régulièrement bouleversante : de manière intelligemment « symétrique » par rapport au Pingouin, il est difficile au téléspectateur de décider si elle est haïssable ou attachante. Et c’est cette ambigüité rare des deux personnages principaux qui fait de cette série une jolie réussite.
Eric Debarnot