Dans Perdu pour la France le rock critique, musicien, écrivain revient sur son parcours, dans un récit intime et émouvant. On y croise évidemment la gentry du rock’n roll et de la contre-culture. En sus, Eudeline dévoile avec honnêteté et sans fard ses galères et l’on comprend en creux qu’il est loin de ne rien regretter.
Patrick Eudeline a soixante-dix ans…et cela fout vraiment les jetons parce que l’horloge a tourné façon punk, très très très vite. On se rappelle le lire, il y a plus de quarante-cinq ans, dans Best, c’était d’ailleurs le seul lisible chez ce concurrent de Rock’n Folk. Pour vous donner une idée du canard et de ses plumitifs, il y avait un certain Hervé Picart écrivant à l’époque qu’ XTC jouait faux et ne valait pas un clou (je ne m’en suis pas remis)…bref un garçon qui avait tout compris et qui en retour se trouvait mal sur tous les groupes prog et hard-rock des 70’s. Il avait des circonstances atténuantes : il était prof de latin, ce qui était loin d’être le cas d’Eudeline…
On ne va pas se mentir, Perdu pour la France est réservé aux plus de soixante ans, fans de rock (et de sa presse) sur le retour. Qui peut encore s’intéresser au récit d’un rock critique, leader d’Asphalt Jungle premier combo punk français de l’époque (77) ? Ingurgitons cela goulument comme un pack de bières et même si nos goûts nous portent désormais sur des quilles en biodynamie. Il n’y a pas de mal à avoir des plaisirs régressifs.
Je n’ai pu empêcher de titrer cette chronique Dandy Mariole – afin de rire un peu – mais j’aurais pu illustrer la recension par Et vogue la galère…
Dandy, c’est sûr, personne ne pourra me contredire. Celui qui a croisé la silhouette vacillante du garçon dans une salle de concert, un hybride de Willy de Ville et Johnny Thunders, avec A rebours dans la poche arrière, comprendra. Il y a d’ailleurs un chapitre sur Pete Doherty qui lui aurait piqué sa chérie. Là est le côté mariole, mais bon c’est ce qu’on aimait aussi lire lorsque nous étions plus jeunes au fin fond de nos chambrettes.
Dans Perdu pour la France, on n‘échappe évidemment pas à un « name dropping » fanfaron (et même s’il s’en défend) …et à certaines anecdotes un peu éculées notamment avec Anita Pallenberg où on nous raconte que Keith, à Nellcôte, faisait passer sa dope dans les jouets de ses enfants, j’avais eu aussi la version de l’héro cachée dans les chocolats de chez Harrods (plus chic). Mais encore une fois, on est aussi là pour cela, du moins si on a acheté le livre (ce qui est mon cas).
Eudeline a un immense mérite, celui de l’honnêteté (et ce n’est guère de saison) pour nous décrire comment il a tenté de creuser son sillon, il ne nous cache rien de la débine dans laquelle il est tombé rapidement.
Il y a évidemment la drogue mais on ne s’empêchera pas de penser qu’il n’est pas aussi foudroyant que Lester Bangs, aussi pertinent que Nick Kent, ne met pas les rieurs de son coté comme Manœuvre et sans doute moins virtuose que Thunders. Il est juste son personnage et a tenté de l’exploiter jusqu’à la corde et d’en vivre difficilement. Cela ne date pas d’aujourd’hui puisque dès la fin des années 70, comme il le raconte, il est reçu chez Bouvard (en égérie punk) et Labro lui consacre un article dans Paris-Match. Bref il a exploité le filon warholien sauf qu’Eudeline l’a épuisé jusqu’à plus soif. Il ne nous cache d’ailleurs rien de ses périodes de disette : SDF, faire la manche, dormir chez les uns chez les autres en ne s’apitoyant guère sur son sort, n’en tirant pas fierté et on ne peut que le saluer. Saluons son élégance de ne pas s’appesantir sur certains évènements liés à sa vie intime notamment avec Virginie Despentes ou Daniel Darc coté addiction.
Il n’est pas seulement question de rock et de décadence dans Perdu de vue, le musicien, rock-critique, écrivain témoigne de son enfance et de ses tourments (avec son «père »), sa scolarité à Stanislas, son expérience chez les scouts. Il est paradoxal de noter qu’Eudeline ne masque pas une certaine attirance pour la bourgeoisie, souffrant de ses origines modestes. Il y a ainsi un chapitre où le critique nous parle – avec des sanglots dans l’écriture – de quinze jours passés dans la station chic de Zermatt avec sa petite amie de l’époque.
Avant de lire Perdu de vue, je ne saurai trop vous conseiller d’écouter le podcast de France Inter « La radio de Patrick Eudeline » où l’invité propose pendant moins d’une heure sa programmation qui est assez éclairante, surprenante et donne une autre vision du personnage (qui laisse tomber son masque de dandy). Quelqu’un qui programme Airport des Motors ne peut pas être mauvais bougre. Bref il faut sans doute aller chercher derrière le folklore qu’il nous a proposé depuis les 70’s.
En allant acheter Perdu pour la France, vous ferez sans aucun doute une bonne action pour un mec, sans doute ric-rac, qui a voulu être trop intègre et intransigeant comme Des Esseintes.
Éric ATTIC