Enfin ! Il aura fallu attendre la fin de l’année pour enfin découvrir un OVNI sériel qui nous aura particulièrement emballé et excité en 2024. La Mesías peut être d’ores et déjà rangé parmi les mini-séries qui comptent et qui compteront comme les œuvres majeures du genre, quelque part entre The Leftovers et un film d’Almodóvar ou Dolan.
Impossible de résumer l’intrigue de ces sept heures de bonheur télévisuel, proposées par un couple iconique de la télévision espagnole – mais peu connu dans nos contrées : Javier Ambrossi et Javier Calvo, « Los Javis » qui perpétuent à leur manière l’héritage de la Movida madrilène des années 80 chères au cinéaste de Tout sur ma mère.
La comparaison semble évidente sur les premiers épisodes, qui narrent le quotidien de Montserrat, une mère isolée et ses deux enfants laissés-pour-compte, enchaînant amants, passes rémunérées et moults problèmes sociaux dont elle ne peut se sortir. Monserrat que l’on retrouvera des années plus tard, ayant trouvé l’affection auprès d’un membre de l’Opus Dei (et ses croyances séculaires) qui va la transformer en mère quasi-sainte, comme « una Mesías » (une Messie) et porter la sainte parole sur Terre (et porter six autres enfants qui seront éduqués comme dans une secte recluse). Et enfin Monserrat âgée, leader charismatique de ses six filles qui deviendront les « Stella Maris », groupe pop-catho aux millions de fidèles adeptes sur Youtube, mais qui retrouvera également ses deux aînés qui auront tracé leur chemin (de dépression ou de déni total) et qui voudront chasser les démons et trouver une sérénité nouvelle, un sens à leur vie gâchée depuis leur naissance par cette mère fanatique.
Cela paraît insensé, foutraque, flippant. Et ça l’est, mais jamais pesant, toujours fascinant. Car les concepteurs de cette ambitieuse odyssée de l’humain mixe les genres et les codes pour offrir un spectacle inédit et toujours inattendu : drame social, délire baroque, conte fantastique, clip musical, documentaire spirituel, pamphlet anti-religieux, délire onirique, la Mesías est tout cela à la fois. Et en restant toujours cohérente, maîtrisée dans son bordel visuel, et retombant toujours sur ses frêles pattes. Elle mêle également les histoires persos de ses personnages abîmés avec la lente évolution d’une Espagne toujours coincée entre modernité outrageuse, religion surannée et extrémiste, et une quête très actuelle de sa propre identité à travers la spiritualité et les différents voyages intérieurs qui animent la société d’aujourd’hui un peu perdue…
Dans ce maëlstrom de scènes iconiques, de moments suspendus, de passages clippés assez « what the fuck », les metteurs en scène n’hésitent pas à frontalement questionner nos croyances, nos lâchetés ou nos espoirs. Les dérives sectaires, les laissés-pour-compte, les rêveurs, les complotistes, les humanistes, tout le monde est convoqué dans ce réquisitoire onirique et jouissif contre toute forme de pensée forcée. Et le résultat est aussi improbable que magistral. Un résultat qui nous secoue pas mal.
Sept épisodes totalement différents, sept heures d’une puissance assez dingue et rarement vue dans les séries TV actuelles, qui plus est du côté de l’Espagne. La Mesías est un vrai plaisir visuel, porté avec énergie et folie par un casting de haut vol (tout le monde est parfait, des très jeunes enfants jusqu’aux personnes âgées), et qui vous laisse un souvenir très vivace, empli longtemps de force et de questionnements.
Jean-françois Lahorgue