Quand sort Le vent se lève, Hayao Miyazaki a 73 ans. Par son sujet réaliste et sombre et par ses aspects autobiographiques, le film est reçu comme un adieu. Cette impression est alors confirmée par l’annonce, à Venise, que ce sera son dernier film…
J’admire Hayao Miyazaki et j’aime les avions. L’annonce de la sortie de l’ultime création du vieux maître consacrée au concepteur du mythique Zéro m’électrisa. C’est avec anxiété que je pénétrais dans la salle obscure… Ce fut merveilleux. Le pitch est simple. Le jeune Jirō Horikoshi est myope et peine à observer les étoiles. Il ne pourra piloter d’avion, alors il les dessinera. Il connaîtra l’amour avec Nahoko et l’amitié avec Honjo.
Miyazaki rend un hommage indirect à Miyazaki Airplane, l’entreprise familiale qui fut sous-traitante de Mitsubishi, l’employeur de Jirō, et qui lui a donné l’amour de l’aviation et du dessin.
Ce onzième film surprendra les admirateurs de Totoro, décevant les plus juvéniles. Pourtant, nous retrouvons les passions du Maître :
- Son amour des années 1930, un temps où la tradition cohabitait avec la modernité naissante, où religions et croyances ancestrales n’avaient pas été ravalées au rang de folklore à touristes. La reconstitution est particulièrement soignée, au point de faire appel à une des dernières femmes à savoir plier, ranger et porter le kimono.
- Sa passion pour l’Europe (Le château ambulant) et sa culture humaniste. Le titre est une citation du Cimetière marin de Paul Valéry et le mystérieux et dissident Castorp porte le nom du personnage principal de La montagne magique de Thomas Mann.
- Son amour pour l’aviation, et plus encore pour le vol, qu’il soit naturel (l’esprit Haku du Voyage de Chihiro) ou permis par la technique (Porco Rosso ou le robot du Château dans le ciel).
- Son travail de coloriste. Vous apprécierez les costumes parme de Jirō, le vert printanier des herbages, le bleu céleste, le rouge passé des emblèmes nippons ou le rose des kimonos et des cerisiers.
L’accent porté au mal et à la souffrance évoque le tombeau des lucioles de son ami Isao Takahata. Jirō est confronté aux quatre cavaliers de l’Apocalypse : maladie (la tuberculose de son épouse), famine (les victimes de la crise), guerre (chinoise et bientôt mondiale) et mort (la police secrète, ses arrestations arbitraires et les disparitions). Son employeur le protègera tant qu’il lui sera utile.
Le réalisme du sujet limite le recours au fantastique à deux courtes scènes :
- La magnifique séquence où l’ile de Honshū s’ébroue brutalement et souffle comme une bête. Imprégnée d’animisme, elle renvoie les humains à leur insignifiance. Tokyo s’embrase, la scène préfigure sa destruction sous les bombardements américains.
- Discrètement, la douce Nahoko remercie la source miraculeuse pour l’accomplissement de son vœu.
Miyazaki compense les limites posées au merveilleux, par une immersion dans les rêves de Jirō, des songes persistants et récurrents d’avions et de vols. Dès la première scène, le jeune garçon survole la ville assoupie. Plus surprenant, il s’y lie au comte Giovanni Batista Caproni, un célèbre constructeur italien : « Vous êtes dans mon rêve ! (…) Les avions sont des rêves merveilleux qui ne devraient jamais servir à faire la guerre ou à gagner de l’argent ». Miyazaki joue admirablement avec les transitions oniriques et le flou entre illusion et réalité. Mieux, les scènes fantasmées comptent parmi les plus belles, les plus précises et les plus bavardes.
Que nous dit-il ? Les aéroplanes sont de sublimes créations, que les États transforment en armes. Il reprend le lieu commun du « pic de créativité limitée à dix années. » Si l’ânerie est contredite pas la longévité de la carrière de Miyazaki, elle offre une commode justification à l’égoïsme de son héros. Car, pour la première fois, il nous livre une véritable histoire d’amour. Jirō courtise sa belle avec des avions en papier. Il sait que Nahoto est malade, mais celle-ci accepte qu’il lui préfère ses machines : « la vie est si belle certains jours ». On fume beaucoup, on tousse et on crache. Elle mourra seule.
Jirō rêve encore. Ses Zéro décollent pour rejoindre le Walhalla des aviateurs entrevu par Porco Rosso. Caproni lâche : « Certains avions partent pour ne jamais revenir, ils sont comme des rêves sublimes et maudits qui se laissent engloutir par l’immensité des cieux. » Jirō est seul, son pays détruit. L’esprit de Nahoko l’invite à vivre pleinement, avant de disparaitre.
Le vent s’est calmé, il lui faut tenter de vivre… Le conseil est bon, tentons de vivre !
Stéphane de Boysson