Crépuscule à Casablanca est polar old-style avec une détective façon Nestor Burma et un panorama très instructif de la géopolitique du Maroc dans les années 50.
Melvina Mestre a vécu son enfance (elle est née en 66) à Casablanca au Maroc. Avec « Crépuscule à Casablanca », elle ouvre une série policière avec une détective privée comme héroïne : Gabrielle Kaplan. Un second tome est déjà paru en 2024 : « Sang d’encre à Marrakech ».
Ah quel plaisir confortable de se glisser dans cet agréable bouquin de Melvina Mestre : nous voici donc à Casablanca dans les années 50.
Le Maroc est encore sous protectorat français mais l’armée de l’Oncle Sam a débarqué en 42 et le pays est en pleine américanisation : les colons marocains ont déjà goûté au Coca-Cola avant même les français métropolitains et ils roulent en Cadillac.
« […] L’après- guerre avait le goût de la liberté, et cette liberté avait le goût du Coca-Cola dans un Casablanca qui rêvait de Beverly Hill.
[…] Au Maroc, et à Casablanca en particulier, ceux qui étaient du bon côté de la barrière – et dont elle avait conscience de faire partie – avaient les plages, la mer, le soleil, les palmiers, les Cadillac, le jazz, le swing et le boogie-woogie. Vue d’ici, la France était un pays triste et gris qui pansait ses plaies, cramponné à son empire colonial, et dont les habitants, héroïques sur le tard, peinaient à se réinventer une histoire nationale. »
Même si l’écriture est résolument actuelle, Melvina Mestre a soigné l’ambiance de son roman policier old-fashioned et bien posé son personnage de détective qui pourrait être la fille spirituelle de Nestor Burma.
On apprécie le dosage équilibré de son roman avec une petite pincée de guide touristique, façon le guide du routard à Casa, comme cette photo de couverture avec « l’immeuble Liberté qui dominait la ville du haut de ses dix- sept étages. […] Même en France, il n’existait pas de bâtiment aussi moderne et aussi haut », un bâtiment qui resta longtemps l’un des plus hauts d’Afrique.
Et une bonne louche de contexte géopolitique quand, en Afrique du Nord, le temps est venu de faire le ménage après Vichy tandis que les américains piaffent en attendant de prendre la place des anciens colons : Casablanca rivalise avec Tanger pour le titre de « nid d’espions ».
« […] Les indépendantistes gagnaient du terrain, c’était une certitude ; Oncle Sam renforçait sa présence au Maroc, c’en était une autre.
[…] Les Américains rongent leur frein. Ils veulent faire main basse sur le Maroc, et leurs agents noyautent le pays.
[…] Roosevelt avait tenu, pendant la conférence d’Anfa, à rencontrer personnellement le sultan au cours d’un dîner. Le président américain y avait tenu des propos ouvertement anticolonialistes, au nez et à la barbe du résident Noguès et de Churchill. Le président de la première puissance mondiale avait garanti au sultan que la situation des colonies serait radicalement bouleversée après la guerre. Un coup de canif de plus à la « protection » française. »
L’intrigue policière reste simple et sert ici de prétexte pour plonger le lecteur dans une période méconnue de l’histoire. Melvina Mestre nous offre une description très documentée de l’Afrique du Nord et du Maroc de l’époque, révélant les enjeux complexes qui y régnaient. C’est une lecture aussi instructive qu’intrigante.
Pour un tableau complet des différentes couleurs de la ville, Melvina Mestre prend soin de placer ses acteurs au sein des différentes forces sociales ou politiques en présence, et plusieurs personnages sont issus de la vraie vie.
Il y a donc à Casa, Gabrielle Kaplan la détective privée, féminine, émancipée et futée, pour qui « jouer à reconnaître les parfums des gens était son dada. Un héritage du passé. Après tout, « avoir du flair » faisait bien partie du métier d’enquêtrice ».
Miss Kaplan vient d’une famille juive qui a fui Salonique : le temps d’une soirée, une autre période de l’Histoire pointe alors le bout de son nez avec ces « juifs de Salonique ».
Il y a là Vincente, son assistante qui « adorait appeler sa patronne « boss ». Cela faisait américain, donc moderne. L’américanisation de la ville s’affichait dans les moindres détails ».
Brahim, son acolyte marocain souvent utile en cas de coup dur, « membre de l’une des cellules casablancaises de l’Istiqlal, il militait pour l’indépendance du pays et le départ de la France ».
Le commissaire Renaud, le flic sympa qui se distingue « nettement de ses homologues car il n’était ni raciste ni corrompu. Une exception ».
Du côté plus obscur, il y a là des personnages tirés de la vraie vie avec les grands magnats de droite comme Lemaigre Dubreuil, patron historique du groupe Lesieur.
« […] C’est une huile, en effet, l’archétype du grand patron de droite, marié avec la fille Lesieur, figure de proue du libéralisme. À la tête d’une ligue de contribuables et mécène de quelques canards d’extrême droite avant guerre. Différentes sources le situaient proche de la Cagoule. »
Ou encore Pierre Mas, patron de presse influent, le résident Charles Noguès, ancien vichyste et le général Alphonse Juin, arrogant chef des armées en Afrique du Nord. Le sultan marocain Sidi Mohammed, courtisé par les américains et futur roi du pays lorsque viendra l’inévitable indépendance.
La détective Gabrielle Kaplan se voit chargée par l’un des patrons influents de la colonie, de récupérer une sacoche contenant des dossiers importants.
Mais elle flaire le piège et a bientôt l’impression d’être manipulée, lorsque le contenu mystérieux de la mallette semble attirer toutes les convoitises, depuis la toute nouvelle agence de la CIA jusqu’aux officines obscures de notre République, SDECE, Main Rouge ou ex-activistes de la Cagoule.
« […] – Dites donc, Kaplan, alors, elle contient quoi, au final, cette sacoche ? »
Bruno Ménétrier