Avec son titre un brin provocateur, l’essai de Luc Chomarat analyse les films publicitaires comme des œuvres à part entière. Variés, audacieux, parfois très très libres, ils ont inventé selon lui une grammaire singulière, et méritaient donc qu’on les aborde avec un regard neuf.
On le sait depuis longtemps, le cinéma et la publicité entretiennent des liens assez étroits. D’ailleurs, il y a quelques années, les éditions Playlist Society avaient déjà effleuré ce sujet avec le livre de Benoit Marchisio, Génération Propaganda, qui proposait une « histoire oubliée » de Propaganda Films, une société de production qui a notamment abrité David Fincher ou Spike Jonze et qui a permis à ces cinéastes de réaliser un grand nombre de spots publicitaires. Cette accointance, Luc Chomarat l’évoque lui aussi en rappelant que Quentin Dupieux ou Étienne Chatillez, pour ne citer que ces deux-là, ont eux réalisé de nombreuses pubs avant ou en marge de leurs œuvres cinématographiques. L’auteur analyse aussi, dans la dernière partie de son livre, ces « cas limites » qui estompent parfois les frontières entres les genres : le clip, la bande-annonce, le générique, certains courts-métrages, etc.
Si cette porosité des genres est bien connue – on ne compte plus les spots qui mettent en scène des stars du grand écran –, Luc Chomarat propose surtout une approche inédite de cet objet si familier et souvent si intrusif qu’est le film publicitaire. Dès son avant-propos, l’auteur annonce ses intentions : porter un regard neuf sur un médium généralement méprisé.
En effet, pour Luc Chomarat, les films publicitaires sont des sortes de « micrométrages » qui peuvent être étudiés en oubliant presque les marques dont ils sont censés assurer la promotion. Et c’est là que réside tout leur paradoxe mais aussi tout leur intérêt. Selon Chomarat, ces « haïkus » cinématographiques doivent se soumettre aux contraintes de leurs commanditaires mais, lorsqu’ils sont réussis, ils parviennent à les dépasser, à les occulter même, et à inventer un nouveau langage cinématographique analysé ici avec une grande précision.
Au départ, la thèse de Chomarat peut paraître excessive, mais elle s’impose finalement assez vite comme une évidence grâce au talent de conteur de l’auteur de ce Film publicitaire, chef d’œuvre. Si Luc Chomarat a été un temps concepteur-rédacteur dans une agence de pub, on le connaît surtout pour ses méta-polars parodiques et drolatiques. Cet art du récit, Chomarat le met ici au service du film publicitaire en revenant avec soin sur des spots que l’on a vus maintes et maintes fois, que l’on pensait avoir oubliés mais qui nous reviennent finalement assez vite en tête. Cette fausse amnésie pourrait inquiéter, elle pourrait être la preuve d’une sorte de matraquage audiovisuel. Au contraire, en racontant ces spots de quelques secondes, en les disséquant avec précision, Luc Chomarat montre qu’ils ont été pensés, conçus et réalisés avec un soin qui dépasse de très loin leur objectif promotionnel.
Bien évidemment, tous les films publicitaires ne peuvent pas prétendre à ce statut, et les chefs d’œuvre du genre ne sont pas légion. Pire, leur âge d’or est révolu depuis longtemps. Dans une partie de son essai, Luc Chomarat analyse justement cette déliquescence du genre, son affaiblissement artistique au profit d’un conformisme sans intérêt.
On l’aura compris, que l’on aime ou que l’on révère la publicité – un objet qui, comme le rappelle Luc Chomarat, doit nous réussir à nous séduire alors même qu’il nous est imposé –, Le Film publicitaire, chef d’œuvre est un essai passionnant. La preuve ? Si le temps qu’il nous a fallu pour lire ces 144 pages a été bien plus long que nécessaire, c’est parce que notre lecture a été fréquemment interrompue par une folle envie de revoir les films évoqués par Chomarat. En quelques clics, on peut ainsi revoir les spots évoqués dans cet essai et constater en effet que la pub, c’était sans doute mieux avant…
Grégory Seyer