Huit mois à peine après leur passage parisien au Trianon pour présenter en exclusivité leur quatrième LP alors à paraitre, les New Yorkais de DIIV reviennent en conquérants, cette fois ci au Bataclan, offrant une nouvelle couche de beauté glacée à cet automne parisien qui le devient tout autant.
Les spectateurs présents au Trianon de Paris au mois de mars dernier en parlent encore : la prestation de DIIV alors fournie en introduction à leur quatrième album Frog In Boiling Water fut une expérience intense et enivrante. Chantres du slowcore, braquant leurs guitares saturées en rafales sur le chant délicat et quasi insaisissable de leur leader Zachary Cole Smith, DIIV nous ont encore prouvé avec ce nouveau disque que leur source d’inspiration ne semble absolument pas se tarir.
Dans un contexte politique des plus angoissants, s’agissant du résultat des dernières élections présidentielles américaines, le groupe qui usait déjà de beaucoup de cynisme dans la mise en scène de leur dernier concert, à grand renfort de visuels orwelliens, en rajoute une couche en diffusant sur leur écran géant la propagande de leur entreprise imaginaire « Soul Net », tel un grand Big Brother qui ne nous veut que du bien, en nous vendant tout et n’importe quoi avec la promesse que nous attendrons ainsi le bonheur. Avec les musiciens se mettant eux-mêmes en scène dans ces films dignes des meilleurs passages du roman 1984, la musique de DIIV se veut ainsi porteuse d’espoir, éco-responsable, mais à condition de passer par le stand de merchandising. Une dénonciation à peine voilée des multiples contradictions qu’offre la société américaine.
Encore plus significatif aujourd’hui avec un président pour lequel ils n’ont probablement pas voté, le concert de DIIV gagne en intensité en comparaison d’avec le printemps dernier. Toujours aux commandes, Zachary Cole-Smith, Andrew Bailey, Colin Caulfield et Ben Newman demeurent dans ce style qui est le leur : tout en introspection, sans communication mais en se laissant guider par leur passion toutefois concentrée sur leurs instruments respectifs, les Américains dévoilent à leurs fans français une majorité des titres de Frog In Boiling Water, album encensé par les critiques – à juste titre -, car venant planter le clou de la grande majestuosité de leur musique. Débutant le concert par In Amber tout comme débute le disque, sous un lightshow rouge agressif, c’est donc avec difficulté que nous discernons les visages des membres du groupe, et cette opacité flamboyante apporte ainsi une autre couche de gravité au chant hypnotisant de Zachary Cole-Smith.
A ses côtés, Andrew et Colin, pas plus loquaces, mais peut-être un peu plus expressifs en manipulant l’un sa basse et l’autre sa guitare, se laissent tour à tour emporter par leur propre jeu, et c’est graduellement que la foule face à eux passe de headbang à pogos, toujours de façon canalisée. Mais, le concert défilant, nous sentons que les spectateurs se laissent littéralement envouter par les morceaux les plus éthérés tels Like Before You Were Born, Taker ou le glaçant Soul Net, autour duquel est construit tout l’imaginaire du groupe.
L’immersion dans l’univers de DIIV se fait de façon inopinée, surtout si l’on n’est pas encore familier avec leur shoegaze racé. La tension qui émerge de leurs titres aujourd’hui les plus significatifs comme Take Your Time, Horsehead et Blankenship, ce dernier en général déclenchant enfin les mouvements de foule, prend aux tripes, et les années d’écoute n’entament en rien cette sensation, particulièrement exacerbée en live. C’est ainsi que ce soir, la nappe toute aussi épaisse que vaporeuse que créé la musicalité de DIIV réussit à enfermer littéralement les présents dans un cocon dont il est difficile de s’extirper, notamment lors des morceaux comme Acheron et ses plus de huit minutes. Avec à l’honneur les deux derniers albums Frog In Boiling Water et Deceiver, c’est une plongée (sans jeu de mot, sauf à ce que vous compreniez l’anglais) en apnée d’une heure et demie dans laquelle nous entrainent DIIV, et ce nouveau concert parisien n’en aura que plus renforcer l’incroyable réputation de ce groupe portant difficilement perceptible par le grand public, et ce pour notre plus grand bonheur d’amateurs de musique indépendante.
Texte et photos : Laetitia Mavrel