Avec Sonny Boy : Mémoires, Al Pacino frustrera ceux et celles qui attendaient de grandes révélations sur les tournages de classiques. Il demeure cependant l’attachant portrait d’un homme de théâtre devenu star de cinéma sans le chercher.
« Une des choses que j’apprécie chez Leo [Di Caprio] est qu’il ne tourne pas deux films par an. Il est au-dessus de la mêlée aujourd’hui, un peu comme Al Pacino ou Robert De Niro dans les années 1970, à l’époque où ces derniers n’essayaient pas de faire deux films par an – ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient, et ils voulaient faire ça. Et cela signifiait que ça devait être suffisamment bon. » (Quentin Tarantino)
S’agissant de Pacino, on pourrait dire que ses mémoires Sonny Boy : Mémoires expliquent pourquoi il tournait effectivement peu dans les années 1970, là où plus récemment des difficultés financières ont pu – et il le reconnaît – l’obliger à cachetonner. Il a toujours d’abord accepté ses rôles uniquement s’il se sentait une connexion avec eux. Rétrospectivement pas mécontent d’avoir campé dans Un Après-midi de chien un personnage principal homosexuel à l’écriture nuancée, il affirme ne pas avoir choisi le rôle pour cette raison.
Il n’a pas non plus voulu devenir acteur pour être star, et encore moins pour l’exercice des interviews. Et se révèle ici d’abord homme de théâtre. Sa réalisation shakespearienne Looking for Richard et ses représentations théâtrales sont évoquées avec plus de passion et d’implication personnelle que son travail d’acteur de cinéma.
Si l’on peut comprendre que Pacino souhaite sculpter sa légende et ne pas tacler les personnes avec lesquelles il a travaillé, le récit des tournages n’est pas des plus palpitants. Il fait même double emploi avec l’existant dans le cas du Parrain. Il est un peu plus disert s’agissant de Scarface, film lui rapportant encore des revenus alors qu’il avait connu flop et controverse en son temps à domicile. Parce qu’il estimait que la scène du restaurant n’avait de sens scénaristiquement que si Tony Montana dînait dans un lieu select, il a tapé du poing sur la table pour que De Palma et la production acceptent le surcoût que cela représentait. Il célèbre la satire de l’ère Reagan du film… mais aussi l’aura de self made man qui a fait la popularité discutable de Tony Montana dans le monde. Alors qu’il n’y a pas plus années Reagan que le mythe du self made man.
Sur cette question du rapport du public au Bad Guy, Pacino évoque d’ailleurs quelque chose de pertinent concernant le flop du troisième Parrain, tentative commune de come back pour lui et Francis Ford Coppola. Selon Pacino, le public ne souhaitait absolument pas voir Michael Corleone rechercher la rédemption.
Sur Heat, je me permets d’être en désaccord avec sa déception de voir la scène où son personnage sniffait de la cocaïne coupée. D’abord parce qu’elle aurait tout de suite fait cliché pour cause d’un « mythe » Scarface bien installé dans une décennie 1990 âge d’or du Gangsta Rap. Ensuite parce que les frontières entre flics et voyous étaient déjà suffisamment brouillées par le scénario. Enfin, l’usage d’un stupéfiant réputé pour donner une illusion d’invincibilité n’était pas nécessaire pour montrer la pression extraordinaire à laquelle le personnage est soumis. Le scénario le fait très bien sans ça.
Ces mémoires sont aussi le récit de la recherche d’un père absent, les parents de Pacino ayant divorcé alors qu’il était en bas âge. Une figure incarnée professionnellement pour le meilleur et le pire par Martin Bregman. Un producteur qui fut de bien des projets importants de la carrière de l’acteur : les Lumet (Serpico, Un Après-midi de chien), les De Palma (Scarface, L’Impasse) et un Sea of love en forme de come back après son retrait du grand écran suite au flop Révolution. Mais hélas Bregman fut aussi l’homme des mauvais placements fiscaux.
Ces mémoires d’un mythe de platine du cinéma ne sont pas forcément les mémoires hollywoodiens les plus palpitants. Mais ils ont au moins le mérite de raviver un souvenir : celui de John Cazale, acteur côtoyé par Pacino mort trop tôt après un début de carrière immaculé (les deux premiers Parrain, Un Après-midi de chien, Voyage au bout de l’enfer). Un acteur symbole, comme Pacino et Dustin Hoffman, du formidable vivier d’acteurs que fut le monde newyorkais du théâtre dans les années 1960.
Ordell Robbie