Nos 20 albums préférés des années 60 : 19. Scott Walker – Scott 4 (1969)

Rétrospective des années 60 vues par le petit bout de la lorgnette, c’est-à-dire nos goûts personnels plutôt que les impositions de « l’Histoire ». Aujourd’hui : Scott 4, l’album avec lequel Scott Walker, le crooner venu de Mars, enterre définitivement son passé de chanteur à succès. Plus dépouillé que les Scott numéros 1 à 3, Scott 4 est à la fois anachronique et en avance sur son temps.

La postérité n’est pas exempte de réécritures de l’histoire. Gainsbourg fait par exemple tellement partie de notre patrimoine qu’un/une novice pourrait croire que ses albums d’interprète se sont toujours vendus. Alors que les chefs d’œuvre seventies eurent, avant que le scandale de La Marseillaise reggae ne les aide à se vendre, un statut d’albums à la banane de la chanson française.

Pour Scott Walker, le mythe colporté par les happy few fut celui du passage immédiat du statut d’icône des jeunes Anglaises de la période Walker Brothers à une carrière solo à zéro concession et zéro succès. Scott 1 et 2 furent des succès commerciaux britanniques mais la part des compositions originales était mineure. Cette fois constitué majoritairement de compositions originales, Scott 3 se vend un peu moins bien, tandis que le programme télévisé de Walker à la BBC est un flop.

Lui succède le plus commercial et peu estimé Scott: Scott Walker Sings Songs from his T.V. Series, composé seulement de reprises. Une paire d’albums cristallisant la lutte entre les aspirations artistiques de Walker et le désir du show business de le transformer en néo-Sinatra. Vient le vrai flop : Scott 4, enregistré sous le nom de Walker à la ville (Scott Engel) avant d’être réédité sous son nom de scène.

Un album comportant au dos de la pochette une citation de Camus : « Une œuvre d’homme n’est rien d’autre que ce long cheminement pour retrouver par les détours de l’art les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le cœur, une première fois, s’est ouvert. ». Camus dont Walker avait déjà revisité La Peste dans The Plague, face B de la reprise de Brel Jackie.

Plus de reprises cette fois. Et un démarrage au canon avec The Seventh Seal, morceau revisitant un film emblématique de l’histoire du cinéma d’auteur. A savoir Le Septième Sceau, classique de Bergman pour lequel le terme cinéma d’art et d’essai fut inventé. Un statut qui sera renforcé lorsque le film sera parodié dans Monty Python Sacré Graal. Le texte rejoue les scènes les plus célèbres du film (la partie d’échecs avec la Mort, la confession, la danse de la mort).

Scott 4 versoLe morceau a quelque chose de singulier par rapport à d’autres classiques walkériens l’ayant précédé. Dans Montague Terrace (in blue), les cordes pointaient tout de suite le bout de leur nez avant d’être envahissantes au refrain. Le morceau commence ici par de la guitare flamenco et de la trompette hispanisante renvoyant à Morricone. Plus chez Leone que Bergman donc. Un tandem instrumental accompagnant l’arrivée du chanteur puis de la batterie… auxquels les cordes, l’orgue et un chœur s’ajouteront à retardement. Chef d’œuvre construit sur plusieurs étages.

Puis c’est le calme d’On Your Own Again, morceau plus court et plus simple où il est question d’accepter la rupture avec sérénité. Avouer ensuite dans une nappe de cordes qu’on est pas The World’s Strongest Man. Rythmé par une guitare évoquant Somethin’ Stupid de Frank et Nancy Sinatra et une basse mise en avant, Angels of Ashes voit des cordes s’ajouter au morceau. Avec un passage chanté résumant ce qu’est Walker : un crooner avec un mélange de lyrisme vocal et de distance.

Vient ensuite Boy Child, morceau qui donna son titre à la compilation qui me fit découvrir le chanteur. Morceau pré-bowien dans sa mélodie et dans la part de symbolisme de son texte : « You’ll lose your way/A boy child rides upon your back/Take him away » (Tu perdras ton chemin. Un enfant garçon chevauche ton dos. Débarrasse-toi de lui.). Hero of the War est encore plus singulier. Des cordes et un rythme à la Bo Diddley, vraiment ? Pour une attaque contre la glorification des héros militaires pleine d’ironie. « Show his gun to all the children in the street/It’s too bad he can’t shake hands or move his feet. » (Montre son revolver à tous les enfants de la rue, dommage qu’il ne puisse bouger ni les mains ni les pieds). Ou encore cette allusion à la mère du « héros », qui a failli mourir en l’enfantant. « He’s a hero of the war/Like his dad who gave his life for war before/It was tragic how you almost died of pain when he was born » (C’est un héros de guerre, comme son père qui a donné sa vie pour la guerre ; il est tragique que vous ayez failli mourir de souffrance lorsqu’il est né).

Suit un nouvel Everest de l’album : The Old Man’s Back Again (Dedicated to the Neo-Stalinist Regime). Morceau évoquant les purges staliniennes, marqué par un rythme martial et une ligne de basse au son pas loin de celles du Gainsbourg période Swinging London ou d’un These Boots are made for walking. Avec son ambiance de paranoïa et de Mitteleuropa, la chanson annonce les préoccupations du Bowie berlinois. Auquel Walker rendra la pareille avec ses compos de l’album Nite Flights des Walkers Brothers, influencées par le Bowie late 1970s.

Duchess contient lui le genre de déclarations d’amour à comparaisons tordues qu’on trouvera plus tard chez Nick Cave : se sentir comme un voleur quand elle saigne, une robe chatoyante qui dit non qui dit oui… Avant de décoller avec son refrain gospélisant, Get Behind Me s’ouvre, lui, sur un folk pétri d’étrangeté proche du early seventies Bowie. L’album s’achève sur Rhymes of Goodbye et son alternance couplets country/refrain crooner. Dans lequel l’amour coexiste avec le sentiment de perte. Ainsi ce : « And roaring through darkness The night children fly I still hear them singing The rhymes of goodbye » (Et rugissant à travers les ténèbres les enfants de la nuit volent. Je les entends encore chanter les rimes de l’au revoir.).

Scott 4 est, à l’instar des autres disques à numéro de Walker, un album à la fois anachronique et en avance sur son temps. A la fois très proche émotionnellement et semblant venir d’une autre planète. Il est le sommet d’un quatuor ne manquant ni de laudateurs ni de descendance. Dans les descendants, Bowie bien sûr, Pulp (dont We love life fut coproduit par Walker), The Divine Comedy, Marc Almond et Echo & the Bunnymen période Ocean Rain. Entre autres.

Ordell Robbie

Scott Walker – Scott 4
Label : Philips / Fontana
Date de parution : 1er novembre 1969

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