Thriller cérébral au sujet plus qu’ambitieux, Heretic bénéficie de la présence d’un Hugh Grant qui se délecte visiblement d’un tel contre-emploi, mais présente trop de défauts d’écriture pour tenir toutes ses promesses.
A quand remonte la dernière fois où nous avons vu un film « commercial » aborder frontalement le thème de la Religion ? Et pas seulement au niveau de ses rituels ou de ses dogmes (comme dans Se7en, par exemple), mais pour interroger ce qui fait écho entre les grandes religions monothéistes, et ce sur quoi elles reposent réellement. Tout au long de Heretic, un homme, Mr Reed (Hugh Grant, en contre-emploi… mais pas tant que ça, on y reviendra), philosophe et tend des pièges intellectuels à deux jeunes femmes mormones qui font du porte-à-porte pour leur église. A la fin du film, les questions posées reçoivent une réponse, pour une fois, il faut le souligner : certains ont trouvé ces réponses décevantes, mais comment pourrait-il en être autrement ? (Bon, c’est un non croyant qui écrit cet article…).
Heretic est une œuvre très curieuse, d’une ambition assez démesurée : au milieu du film, quand Mr Reed part dans une démonstration – aussi alambiquée que stimulante – basée sur le jeu du Monopoly et sur l’accusation de plagiat formulée par les auteurs de la chanson The Air I Breathe des Hollies contre Radiohead, on a envie de se pincer pour voir si on ne rêve pas. Et non, c’est bien là le cœur de la proposition de Scott Beck et Bryan Woods, auteurs complets (scénaristes et réalisateurs) du film. On aura le droit de trouver ça trop long, ennuyeux, parce que le thriller d’épouvante promis se fait attendre ; mais on aura aussi le droit de se délecter d’un concept qui, avant d’enfermer les deux pauvres héroïnes / victimes dans les sous-sols d’une maison terrifiante, les enferme dans une rhétorique menée d’une main de maître. Avec comme corollaire – passionnant – le fait que recouvrer la liberté passe forcément par l’identification des pièges tendus par de fausses démonstrations, une fausse logique.
Et puis arrive le moment où le film doit bien remplir son contrat et nous faire peur, nous offrir une poignée de scènes gore, ce qui a pour effet inévitable de dissiper une grande partie de la magie développée dans sa première partie. Si les « mind games » et la manipulation se poursuit, avec Hugh Grant comme metteur en scène tout puissant de l’horreur, on est clairement descendu d’un niveau, vers un tout venant du cinéma fantastique qui déçoit. Le pire vient avec la conclusion, qui gâche l’élégance de ses « révélations », philosophiques comme policières, en jouant de mauvaises cartes pour créer un coup de théâtre bidon qui assurera une sorte de happy end. On se demande franchement alors quelle mouche a piqué Scott Beck et Bryan Woods pour qu’ils gâchent ainsi le résultat final de leur travail…
Reste le cas de Hugh Grant : l’ex-séducteur britannique adoré par toute la planète joue donc ici le rôle d’un très inquiétant et très brillant psychopathe, et a l’air de beaucoup s’amuser. Nombreuses sont les critiques ayant émis des louanges sur sa prestation, en effet assez jouissive. Pourtant, on ne pourra s’empêcher de noter à quel point il reste proche de son registre « normal », jouant un jeu de séduction – certes pas déplacé par rapport au scénario – assez habituel chez lui. Peut-être pour que nous réalisions que son programme n’est pas tant de changer de registre que de montrer qu’entre la séduction et la manipulation, puis la folie, tout n’est qu’une question de degré. Ce qui est loin d’être stupide.
Eric Debarnot