A l’aube de la catastrophe écologique qui s’annonce, il est tentant d’aller rechercher dans le corpus de la littérature de SF les écrivains qui ont vu venir les conséquences de l’activité humaine sur la planète. Les âmes de feu d’Annie Francé-Harrar, datant de 1920, en est un exemple intéressant.
A quoi sert la littérature de Science-Fiction ? A nous distraire, bien sûr, en ouvrant grand les portes d’un imaginaire qui dépasse celui, qui nous semble parfois étriqué, de notre réalité quotidienne. Mais aussi, et surtout quand on parle des grands auteurs du genre, de Jules Verne à Liu Cixin, en passant par H.G. Wells, Isaac Asimov, Philip K. Dick et des dizaines d’autres, à nous faire réfléchir – et peut-être changer des choses dans notre comportement – à ce que l’avenir nous réserve, à partir d’extrapolations, parfois scientifiques, parfois moins, de notre présent. Si l’on considère – ce qui est discutable, mais c’est une idée généralement admise – que Dune a été la première grande œuvre de SF à placer l’écologie au niveau planétaire comme sujet central de son histoire, il n’a jamais manqué, depuis des siècles que la littérature « d’anticipation » existe, d’esprits éclairés pour s’inquiéter du sort de la Terre livrée à la domination de l’espèce humaine. Et c’est ainsi que sort cette année dans nos librairies Les âmes de feu, un livre autrichien datant de 1920 (publié pour la première fois en France), imaginant un avenir cataclysmique pour une humanité ayant oublié l’importance de son lien à la nature et à la planète.
Annie Francé-Harrar (1886-1971), son autrice, est un personnage remarquable : née en Allemagne d’un père polonais et peintre, elle aura été scientifique autant qu’artiste. On lui attribue une cinquantaine de livres (romans ou ouvrages de vulgarisation), 5.000 articles scientifiques, un demi-millier de conférences au cours d’une longue existence où elle a rencontré une belle reconnaissance pour son travail de chercheuse, en particulier dans le domaine de l’humus et des sols, de la microbiologie et des mutations organiques (enfin, c’est plus compliqué que ça, mais disons qu’elle était particulièrement impliquée dans l’évolution des sols liée à l’activité humaine).
Très logiquement, si Francé-Harrar a eu très tôt et très clairement l’intuition que l’Homme, en massacrant la nature, irait à sa perte, elle a imaginé que cette apocalypse écologique viendrait de la dégradation des sols (son domaine scientifique) autant que de l’atmosphère. Là où Les âmes de feu « voit juste », c’est dans sa description d’une planète ravagée par la nécessité de nourrir l’humanité, par le développement d’une science « non-naturelle »… et par le refus borné des politiciens et de la population d’écouter les scientifiques tentant d’avertir du désastre qui s’annonce. Là où Francé-Harrar est plus loin de notre « réalité » de 2024, c’est quand elle pense – relayant des théories populaires à son époque – que l’humanité utiliserait l’azote comme source d’énergie et de matière, et que ce serait le déficit d’azote qui créerait le déséquilibre ultime.
Si le livre a des allures fantaisistes, c’est que Francé-Harrar ne peut même pas imaginer en 1920 que ce sera le système capitaliste qui causerait ces dérives mortifères : pour elle, c’est l’opposition entre « Culture » et « Nature » qui amènera une humanité de plus en plus raffinée, sophistiquée, « culturellement avancée », à oublier ses racines… ce qui est finalement plus « charmant » que nos monstruosités financières actuelles. Et, dans une approche très S.F., elle décrit l’émergence d’une nouvelle « race » nous supplantant, faite de fer plutôt que de carbone, ces fameuses « âmes de feu ».
Mais qu’importe ! Finalement, qu’importe la clarté de la vision d’une apocalypse écologique des Âmes de feu : écrit à une époque où la fièvre romantique n’était pas encore éteinte, ce livre est un livre passionné, brûlant littéralement, à la fois terriblement idéaliste et « innocent » dans son aspiration à une renaissance de l’Amour et à une redécouverte des plaisirs essentiels de la Vie. C’est un livre qui, rapidement, nous emporte, comme le faisait la littérature de la fin du XIXème siècle. C’est un livre fiévreux et plein d’une générosité qui enchante. Et c’est bien là sa plus belle qualité.
Eric Debarnot