Warhaus – Karaoke Moon : « Jim Morrison n’était encore qu’un gamin quand il est mort »

Quatrième album de Warhaus, le projet solo de Maarten Devoldere, de Balthazar. Si l’ombre du groupe belge plane toujours, logiquement, ce nouveau disque s’avère plus ambitieux, plus profond aussi, et au fil des écoutes, gagne en beauté. Une belle réussite.

Warhaus Photo Titus Simoens
Photo : Titus Simoens

Deux ans après Ha Ha Heartbreak, voici Karaoke Moon, le quatrième album solo de Maarten Devoldere – l’un des piliers du groupe Balthazar – sous le nom de Warhaus. Aucun changement profond ici dans la musique de Warhaus : au départ, elle semble proche de celle de Balthazar (en particulier au niveau de l’usage des chœurs), mais elle va prendre des risques en s’aventurant sur des terrains inédits, et y ajouter une sophistication sonore impressionnante. Les thèmes explorés restent aussi, en gros, les mêmes, et on sait bien qu’on est là dans des généralités assez faciles : les méandres de l’âme humaine… et l’amour. Et comme chez Balthazar, même peut-être mieux encore, Devoldere brille par son savoir-faire en termes de mélange de légèreté plaisante – expliquant largement son succès public, puisqu’on parle d’une musique d’accès aisé à tous – et de complexité, rassurant les mélomanes plus exigeants quant au « sérieux » de leur Rock music.

Karaoke MoonKaraoke Moon relève une fois encore le défi pas si évident que ça entre densité et facilité : dès les premières notes de Where The Names Are Real, qui ouvre l’album, on se sent bien dans cet univers riche et cette ambiance feutrée. La voix est suave, la mélodie est belle, la production, signée Jasper Maekelberg, est parfaitement bien léchée, et l’équilibre est tenu entre baroque et élégance. Where The Names Are Real est une formidable chanson d’amour à Emely (un « personnage » qui reviendra pour clore l’album) : « But with you Emely, I inherently feel like nothing babe till you look at me / I wanna overexpose the photograph with you / My kingdom, my kingdom for that moment you undress / We both know they started wars over smaller shit than this » (Mais avec toi Emely, je me sens intrinsèquement inutile, bébé, jusqu’à ce que tu me regardes / Je veux surexposer la photo avec toi / Mon royaume, mon royaume pour ce moment où tu te déshabilles / Nous savons tous les deux qu’ils ont commencé des guerres pour des conneries plus petites que ça).

Ce qui impressionne aussi, au fur et à mesure de notre progression dans l’album, c’est la maîtrise des textures, la construction de couches d’émotions et de détails qui, on le réalise vite, vont rendre chaque écoute différente, plus riche sans doute. Le suave No Surprise (qui, encore une fois, aurait pu figurer sur un album de Balthazar), initialement intitulé Karaoke Moon, jusqu’à ce que Sylvie Kreusch, l’ex-amie et collaboratrice de Maarten le persuade de plutôt donner ce titre à l’album tout entier, traite du fameux sentiment d’usurpateur que de nombreux créateurs ressentent : « You took praise / For a song that wrote itself in the sky / Now it’s hanging out of tune / Like a karaoke moon » (Tu as reçu des éloges / Pour une chanson qui s’est écrite dans le ciel / Maintenant elle est désaccordée / Comme une lune de karaoké). C’est ensuite au tour du délicatement lyrique What Goes Up d’enrichir la palette sonore de l’album en organisant la rencontre d’une guitare « twanggy » avec une mélodie vocale accrocheuse sur un beat organique et rudimentaire.

Jim Morrison (« qui n’était encore qu’un gamin quand il est mort »…) nous emmène maintenant sur un terrain plus inattendu, avec une jolie dose d’humour décalé, voire « risqué » en notre époque où l’on fait très attention à ce qu’on dit : « In Papa New Guinea there lives a tribe / Who turn the boys into men with a rite / They believe they have to consume the semen of the adults so their maturity can take shape / Well that’s fucking weird / I guess I should have blown a man before I met you babe » (En Papouasie-Nouvelle-Guinée vit une tribu / Qui transforme les garçons en hommes grâce à un rituel particulier / Ils croient qu’ils doivent consommer le sperme des adultes pour que leur maturité puisse prendre forme / Putain, c’est bizarre / Je suppose que j’aurais dû sucer un homme avant de te rencontrer, bébé). On sent que Devoldere s’amuse, même si la noirceur n’est jamais loin : c’est dans ce genre de moments qu’on sent combien il est toujours proche d’un Leonard Cohen, jonglant entre existentialiste dépressif et humour noir. Suit un instrumental, Jacky N., qui étonne par ses couleurs très cinématographiques autant que sa délicatesse : mine de rien, une déchirure inattendue dans la tessiture de l’album, qui va déployer d’autres atmosphères dans sa seconde face.

 

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Photo : Lowres

Zero One Code est l’un des morceaux les plus sensuels, tendus et  » reptiliens » de l’album : il s’agit de parler de dualité, de choix binaires, de la complexité des relations humaines : choisir entre deux opposés, qui sont pourtant comme « les deux faces d’une pièce », les choix les plus simples dissimulant souvent des dilemmes plus profonds. Les onomatopées vocales qui illustrent le long et lent envol final du morceau s’avèrent particulièrement envoûtantes (merci, Sylvie Kreusch ?). Hands of a Clock démarre dans une atmosphère cinématographique, morriconienne presque, avant d’adopter une ampleur mélancolique terrassante : le morceau du disque qui nous embarque le plus, qui nous emmène le plus loin, sans doute. « I’m a child of the day and a child of the night / But they broke up and fought over me / So the stars and the moon are the part only you get to see » (Je suis un enfant du jour et de la nuit / Mais ils se sont séparés et se sont battus pour m’avoir / Alors les étoiles et la lune sont la partie que toi seule peux voir).

The Winning Numbers monte encore la barre en termes d’exigence : le morceau semble presque ésotérique au premier abord, entre texte récité quasiment philosophique (sur le sens de la vie !), convoquant Van Gogh, Bowie, Freud, récité et touches jazzy… jusqu’à une conclusion encore jamais vue – à notre connaissance – donnant les chiffres gagnants d’un concours organisé pour les fans de Warhaus ! Ou comment conjuguer profondeur et marketing ! Ah, l’humour belge !!

I Want More revient aux évidences superbes, plus « grand public » (encore un titre qui pourrait être signé Balthazar), mais c’est le texte, remarquable, qui retient notre attention. « I’m serving as your poet / Among the other frauds / I just dress it up as beauty / And hope I won’t get caught » (Je sers de poète / Au milieu des autres impostures / Je déguise ça simplement en beauté / Et j’espère ne pas me faire prendre) est une ligne qui aurait totalement pu être écrite par Leonard Cohen (et ça, c’est le plus beau compliment possible de notre part). En parlant de Cohen, on se quitte sur Emery où le clin d’oeil au barde canadien est parfaitement évident (arpèges à la guitare, voix sépulcrale, refrain lyrique) : une conclusion sublime à un album plus profond qu’on le pense initialement.

Car non, Karaoke Moon n’est pas une simple démonstration de savoir-faire – ce savoir-faire artistique que l’on a reconnu depuis longtemps à Balthazar et à Warhaus : toutes les compositions de Karaoke Moon demandent de l’attention, du temps pour révéler leur beauté, leur générosité, au-delà, bien au delà de ces mélodies qui surgissent çà et là, et de l’indéniable élégance de Devoldere.

Eric Debarnot

Warhaus – Karaoké Moon
Label : Play It Again Sam
Date de sortie : 22 novembre 2024

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