Dans son nouveau roman, le premier tome d’un cycle qui s’annonce impressionnant, Mattias Köping raconte l’émergence du 1011, un nouveau cartel mexicain bien décidé à s’imposer dans le monde entier. Âmes sensibles s’abstenir…
Cancún, ses plages paradisiaques, ses eaux turquoise, ses hôtels de luxe… Voilà pour la carte postale. L’envers du décor est nettement moins photogénique : bidonvilles à ciel ouvert, misère, violence, prostitution et drogue évidemment. C’est là justement qu’émerge une nouvelle et très mystérieuse organisation, le 1011. Ce cartel – dont le fonctionnement ressemble beaucoup à certaines industries toutes-puissantes – , a décidé d’éliminer la concurrence et d’asseoir son hégémonie un peu partout dans le monde, et en Europe notamment. Les Bâtisseurs, annoncé comme le premier volume d’une vaste fresque romanesque, raconte l’édification de cet empire de la drogue. On voyage donc beaucoup dans le roman de Mattias Köping. Vallée du Yucatan, Colombie, Etats-Unis, Inde, Maroc, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Angleterre… telle est la toile de fond de ce roman mondialisé et qui s’appuie en grande partie sur une de nos peurs contemporaines : et si la France (et ses pays voisins), gangrénée par les trafics de drogue, devenait bientôt un Narco-État ?
Ce premier volume peut cependant déstabiliser le lecteur décidé à gravir les 625 pages de ces Bâtisseurs. Plutôt que de suivre le destin de deux ou trois personnages, Mattias Köping a choisi une construction en puzzle. Et comme ce roman ne constitue que le début de l’histoire qu’il souhaite raconter, les pièces ne sont pas encore rattachées les unes aux autres. Ainsi, pendant une bonne part du roman, on passe d’un personnage à un autre, on saute d’un lieu à un autre et la cohérence d’ensemble – que l’on devine immédiatement – ne se révèle toutefois que très progressivement. Et c’est là que Köping a eu une autre idée intéressante : laisser les membres du 1011 au second plan du récit (du moins la plupart du temps) et suivre plutôt ceux dont la vie va être directement impactée par son émergence. On suit donc tour à tour les parcours d’activistes écologistes qui enquêtent sur un trafic de sable, une toute puissance famille d’industriels mexicains, une Hondurienne femme de ménage à Cancún, un prêtre bien décidé à venir en aide aux plus démunis, des mafieux évidemment, mais aussi des flics, des chimistes, des junkies… La liste est impressionnante mais Mattias Köping maîtrise tellement bien son récit – qui a sans doute été très longuement construit avant même l’écriture de la première ligne – que le lecteur n’est jamais perdu.
Il faut dire que cette histoire qui se met ici en place est passionnante. Et si la fin du roman confirme bien que tout cela n’était qu’un point de départ, on ne s’ennuie jamais tout au long d’un livre richement documenté. Mattias Köping, à l’instar d’écrivains tels que Don Winslow ou DOA, a dû accumuler une masse d’informations colossale. Mais tout cela est parfaitement intégré dans son roman : du trafic de sable mené par les industriels du BTP jusqu’à la composition chimique de certaines drogues en passant par la construction du Train Maya ou les montages financiers des empires du crime, tout est digéré et soigneusement inséré dans une histoire à l’évident potentiel romanesque.
Il reste que ces Bâtisseurs sont d’une extrême violence et que le roman de Mattias Köping comprend un grand nombre de passages quasiment insoutenables : meurtres sauvages, scènes de tortures, viols… Rien n’est épargné au lecteur. En effet, Köping ne cherche pas à édulcorer la réalité : les narcotrafiquants ou les criminels qui apparaissent ici ne sont jamais romantisés et certains personnages du roman sont proprement abjects. On sent bien que l’écrivain n’a pas la moindre fascination pour le monde qu’il décrit. Sa plume est même souvent acerbe dès qu’il s’agit de dénoncer les turpitudes et les bassesses dont l’homme est capable. Néanmoins, et même si l’on ne peut parler de complaisance, l’extrême violence du roman a de quoi choquer le plus aguerri des lecteurs. Mais on comprend bien que l’un des objectifs de Köping est de nous faire prendre conscience d’une réalité qui existe déjà (au Mexique notamment) et cette violence, qui dépasse l’entendement est, selon lui, à nos portes. En ce sens, le roman semble avoir été conçu et pensé comme une sorte d’avertissement : nous n’en sommes qu’au début. Et on déjà hâte de lire la suite…
Grégory Seyer