[Live Report] Vera Sola et Anthony Da Costa à la Maroquinerie : « une femme construite pour la guerre »

Electrocution en masse hier soir à la Maroquinerie, avec l’extraordinaire Vera Sola, portée à l’excellence grâce à un quatuor d’amis accentuant l’intensité sonore et acoustique de sa musique. L’une des grandes soirées de l’année 2024.

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Vera Sola à la Maroquinerie – Photo : Eric Debarnot

L’un des plus grands bonheurs dans l’existence d’un(e) passionné(e) de musique live, disons une personne qui va aux concerts au moins une fois par semaine, ce qui n’est pas difficile si l’on habite à Paris vue la profusion d’opportunités, c’est d’entrer quasiment au hasard dans une salle, sans savoir grand-chose d’un artiste ou d’un groupe, et de se prendre l’une des plus grosses claques esthétiques ou émotionnelles de l’année. Ce fut le cas hier soir à la Maroquinerie, avec Vera Sola. C’est-à-dire une artiste américano-canadienne dont on découvre sur Wikipédia qu’elle est la fille du célèbre « Blues Brother » Dan Aykroyd, ce qui, honnêtement, n’est absolument pas pertinent par rapport à ce qu’elle fait. Plus intéressant est le fait qu’elle a débuté dans la musique comme bassiste chez le brillant Elvis Perkins (dont, d’ailleurs, on n’entend plus beaucoup parler depuis son Creation Myth il y a quatre ans déjà…) : on peut alors imaginer une sorte d’indie folk sophistiqué et intello, et on n’est pas très loin du compte… Sauf que Vera Sola, c’est bien PLUS que ça !

2024 12 06 Anthony Da Costa La Maroquinerie (3)20h : cette soirée à la Maro (malheureusement pas complète…) commence très fort avec l’apparition d’Anthony Da Costa (non, pas le joueur français de hockey !), drôle de bonhomme barbu et échevelé à la voix incroyable – imaginez, disons, une voix à la Brian Molko en plus féminin et moins « précieux » – et balançant du noise presque extrémiste avec sa guitare. Il nous raconte habiter désormais à Nashville, mais rester pour toujours un mec du Bronx ! Bref. Sa musique est non conventionnelle – pas de couplets ni de refrains reconnaissables, juste un flot de paroles – et pourtant immédiatement accrocheuse, grâce évidemment à cette combinaison d’un chant très beau, très pur même par instants, et de sonorités agressives. Et en plus, Anthony est suffisamment « perché » pour nous intriguer, et plein d’humour pour achever de nous conquérir : il nous demande de prendre rendez-vous avec lui ici-même (à la Maroquinerie…) dans un an, jour pour jour, lorsqu’il nous présentera son nouvel album… et il attend ensuite que nous sortions nos portables pour noter ce rendez-vous ! On réalise aussi qu’Anthony fait partie du groupe de Vera Sola, ce qui nous garantit pour la suite d’excellentes parties de guitare électrique…

2024 12 06 Vera Sola La Maroquinerie (6)20h55 : c’est avec cinq minutes d’avance que les musiciens de Vera Sola débutent le set… qui durera une heure et trente cinq minutes (une vingtaine de morceaux figurant sur la setlist), et pourra donc respecter le couvre-feu de 22h30. On repère immédiatement l’ami Elvis Perkins, très classe, à la basse : plus tard Vera remerciera Elvis de lui avoir donné envie de faire de la musique sérieusement en la prenant comme bassiste dans son groupe à lui, et pointera qu’aujourd’hui c’est lui qui joue de la basse dans son groupe à elle… Le tout « par amour… et non pas pour l’argent, évidemment ! ».

Le set démarre en douceur avec The Colony, morceau assez folky, tiré du premier album de Vera Sola, Shades, mais s’emballe ensuite sur le prodigieux The Line, où le quatuor sur scène déploie toute sa puissance : quand le morceau atteint son pic d’émotion final, on a déjà les larmes aux yeux ! Il y a la voix très prenante, très forte de Vera, les ambiances tantôt cinématographiques, tantôt hispanisantes de la musique, et puis la manière très singulière, fascinante, dont elle danse dès qu’elle lâche sa guitare. « I love you I love you I love you » répète-t-elle presque frénétiquement sur I’m Lying, et cette dualité amour-haine, sincérité-mensonge devient une évidence éblouissante. Chaque titre de Peacemaker, son dernier album qui sera joué en quasi-intégralité, mériterait un commentaire, tant tout cela est riche, complexe, et pourtant intensément ludique. On vole à une hauteur rarement atteinte avec autant de facilité par une chanteuse et son groupe, en totale osmose.

2024 12 06 Vera Sola La Maroquinerie (21)« Piss on my back, tell me it’s rain / Then expect me to stay » (Pisse-moi dessus, dis-moi que c’est la pluie, et puis attend que je reste avec toi) : Desire Path est une autre merveille, qui bénéficie largement de l’intensité électrique offerte en particulier par Anthony, qui sera impérial à la guitare du début à la fin du set. Mais c’est aussi une autre expression des sentiments antagonistes qui déchirent Vera. A plus d’une reprise, elle nous confiera les difficultés qu’elle a à faire de la musique, difficultés qu’elle ne surmonte que grâce au soutien de ses amis musiciens qui l’entourent ce soir sur scène.

Un chanson aussi magnifiquement hantée que Honey and Peaches, tirée d’une conversation qu’elle a eu un jour avec une vieille femme, n’a pour le moment jamais pu être correctement enregistrée en studio, d’après elle, tant elle est riche d’âmes différentes, et reste donc uniquement disponible en live : tant mieux pour nous, qui pouvons vivre un tel moment d’intensité.

Dans un genre beaucoup plus « rock’n’roll », la tuerie qu’est Blood Bond, culminant dans un paroxysme d’électricité qui balaiera la Maro comme le ferait le souffle d’une explosion, restera l’un des moments scéniques les plus forts que nous ayons vécus en cette année 2024. « Give up your bones ! Give up your bones ! Give up, give up your bones ! ». Comment ne pas hurler à l’unisson avec Vera ?

2024 12 06 Vera Sola La Maroquinerie (26)Et juste après qu’on s’est dit que les arpèges de guitare acoustique sur le nouveau single The Ghosmaster’ Daughter – joué en solo – ont quelque chose de très « cohenien », voilà que Vera tire sur nous sa « balle en argent », une reprise lumineuse de la plus belle chanson de Leonard Cohen, Famous Blue Raincoat. Comment retenir nos larmes qui ruissellent alors ?

Il est vingt deux heures trente, et on se quitte sur le mélancolique mais menaçant Instrument of War : « The peaceman’s a liar / It was the Lord who built the hellfire / And now he’s gonna see what I’ve got in store / He’s gonna see a woman that he built for war » (Celui qui parle de paix est un menteur / C’est Dieu qui a construit les feux de l’enfer / Et maintenant il va voir ce que je lui réserve / Il va voir une femme qu’il a construite pour la guerre). Oui, une menace et une promesse. Et la promesse la plus importante, c’est de pouvoir revoir Vera Sola, sur scène avec son groupe, très vite.

Texte et photos : Eric Debarnot