Joël Egloff revient sur l’histoire des Malgré-nous, ces Français enrôlés de force dans l’armée Allemande durant la Guerre 39-45. Un un récit sensible, à hauteur d’homme, dans lequel il rend un vibrant et touchant hommage à son père.
Le père de l’auteur a été un des 130.000 Malgré-nous. Né en 1926 en Moselle, département français annexé par les Nazis en 1940, il est incorporé de force en octobre 1943 dans une des unités de la Waffen-SS de Himmler à seulement dix-sept ans. Joël Egloff raconte son périple dans le pire des uniformes, de la bataille des Ardennes au front russe puis dans les derniers soubresauts du Reich en Autriche puis Allemagne. En parallèle, il narre le vécu de sa famille, mais aussi de celle de sa mère, sous le joug nazi.
« Je me suis perdu dans les livres. Toutes sortes de livres. Des livres d’Histoire, des récits de bataille, des livres pleins de photos, que j’ai scrutées à la loupe, dans l’espoir d’y trouver ton visage. (…) Je sais le nombre de blindés prévus et le nombre de blindés opérationnels au premier jour de l’offensive. J’ai tous les relevés météo de tous les jours de la bataille sur toute la ligne de front. Je connais l’évolution de la situation heure par heure. Je pourrais raconter en mille pages. Pourtant, je ne sais rien sur toi, ou si peu de choses. Et tous les livres du monde ne répondront pas aux questions que je ne t’ai pas posées. »
Joël Egloff n’est pas historien même s’il s’est grandement documenté sur la période et l’histoire des Malgré-nous. Ceux qui ont déjà lu Le voyage de Marcel Grob, la formidable BD de Philippe Colin et Sébastien Goethals n’apprendront rien de nouveau à proprement parler. Les autres seront sidérés par l’absurde du tournis de la frontière mouvante qu’a connu l’Alsace-Lorraine : française avant 1871, puis allemande jusqu’en 1919, puis française jusqu’en 1940, allemande jusqu’en 1945, et enfin définitivement française après.
Mais on sent assez vite que ce n’est pas le roman historique que vise l’auteur. Il fait le choix du « tu » adressé à son père. Habituellement, je ne suis pas fan de ce procédé, mais ici, ça fonctionne parfaitement car c’est avant tout un récit sensible à hauteur d’homme et de l’enfant qu’il a été et qu’il restera toujours face à ses parents, une histoire familiale et plus largement humaine.
Joël Egloff connait l’histoire de son père en pointillé, ayant hérité de souvenirs épars, certains irrémédiablement perdus car volontairement tus ou tout simplement parce que le temps a fait son oeuvre. Modestement, il sait qu’il ne parviendra jamais à reconstituer l’intégrité du vécu de son père. Ces vides pourraient être des obstacles à son récit mais en fait, il les intègre à l’histoire intime de ce champ de bataille tabou.
« Durant les deux ou trois semaines qui ont précédé ton départ, à quoi pensais-tu chaque soir avant de t’endormir ? Quand tu ne parvenais pas à dormir ? Puis le matin en ouvrant les yeux ? A quoi pensais-tu toutes les fois où tu avais cet air absent et que tu tardais à répondre lorsqu’on s’adressait à toi ? T’es tu demandé si tu avais encore une chance quelconque d’y échapper ? »
L’auteur s’adresse en permanence à ce père qui n’est plus là et qui a tu l’indicible, les détails les plus glauques et morbides de son vécu de soldat, ou n’est pas parvenu à dire ce qu’il aurait voulu transmettre. Et pourtant, le lecteur n’est jamais exclu du dialogue car il est amené à se questionner sur le devoir de mémoire et l’héritage familial quel que soit son enjeu. Plutôt que de chercher à bluffer le lecteur par une richesse stylistique ou une complexité syntaxique, l’écriture cherche avant tout la proximité avec le lecteur. L’émotion affleure en permanence et c’est très réussi, comme dans ce passage naïvement touchant où l’auteur imagine les Anges qui ont du accompagner ce père miraculeusement revenu de l’enfer.
Marie-Laure Kirzy