Film « Post #MeToo » foutraque, drôlatique et colérique, Les femmes au balcon ne manque pas d’audace, mais est sans doute trop « de son époque » pour être appelé à résister à l’épreuve du temps. Reste que certaines scènes fortes justifient de s’y risquer.
Lorsque, au début des années 70, Bertrand Blier débutait sa (discutable) carrière cinématographique avec des films machistes (on dirait masculinistes, de nos jours) qui débordaient de mépris, voire de haine envers les femmes, il y avait peu de spectateurs pour quitter la salle, écœurés devant certaines scènes honteuses. Une partie de la filmographie de Blier est devenue totalement irregardable aujourd’hui, il n’y a guère que de rares tristes sires comme Nicolas Bedos qui s’ingénient encore à asséner le même genre de discours. Et cela marque une évolution rassurante des mœurs par rapport à des années 60-70 qui n’avaient rien d’une « belle époque », comme certains – qui ne les ont pas connues – voudraient nous faire croire.
En regardant Les femmes au balcon, où Noémie Merlant annonce faire du « post-#MeToo », il est permis d’y reconnaître une approche « symétrique » (c’est-à-dire similaire, mais « inversée ») de celle de Bertrand Blier, presqu’un demi-siècle plus tard : de l’humour lourd, de la provocation tout azimut, pour rappeler encore et encore, au risque de sacrifier toute logique dans un scénario construit comme un coup de force contre les règles cinématographiques, que les hommes sont tous des ordures, et conclure que le monde serait bien plus gai après avoir trucidé tous les mâles, les avoir découpés en morceaux et les avoir jetés à la mer. Soit une version renversée et adaptée à notre époque du Calmos de Blier, en plus gore, puisque on aime aujourd’hui la violence et le sang. Gageons que dans un demi-siècle, ce cinéma-là sera devenu à son tour irregardable.
Si peu de spectateurs ont quitté la salle durant la projection des Femmes au balcon, c’est que, comme Blier à son époque, évidemment, Noémie Merlant, actrice par ailleurs notable, ne manque ni d’idées ni de talent. En se plaçant d’emblée sous les marques de prestige Almodovar (couleurs bariolées, Marseille filmée comme le Madrid de la Movida, Femmes au bord de la crise de nerfs…) et Hitchcock (blonde fatale, voyeurisme d’un immeuble à l’autre, séparés ici par une rue, difficulté de se débarrasser d’un corps…), Merlant ne manque pas de brio. Et la plongée du film, assez rapidement, vers le gore et le fantastique, avec le coeur des mâles trucidés parce qu’ils ont abusé des femmes, ne lasse pas d’être stimulante… même si les résultats de cette audace sont irréguliers : parfois ça passe, trop souvent ça casse.
Mais si, finalement, en dépit de tous ces défauts, on reste dans la salle devant Les femmes au balcon, ce n’est pas parce que le film de Noémie Merlant est drôle (ce qu’il est régulièrement), mais bien parce qu’il fonctionne à l’énergie, avec un mélange de rage et de joie de vivre qui confine très vite à l’urgence. Un film « punk », en fait. Et un film dans lequel Merlant paie de sa personne, se mettant littéralement à nu comme peu de réalisatrices-actrices l’ont fait : on pense à la scène de l’examen gynécologique, aussi crue que réaliste, extrêmement impactante.
Et puis, au milieu de la boucherie générale et de la provoc’ gratuite, il y a au moins une scène terrible, exceptionnelle, celle du « viol conjugal » : une réalité quasiment jamais montrée au cinéma, ou en tout cas, avec autant de justesse. Une scène où Merlant, l’actrice et la réalisatrice font toutes deux la preuve de leur talent, et de leur courage. Une scène qui laisse espérer de grandes choses pour les prochains films de Noémie Merlant, si l’on imagine que Les femmes au balcon, qui semble réalisé avant tout sous le coup de la colère et pour provoquer chez nous des réactions épidermiques, lui aura permis de se purger de sa haine (une haine qui ne fait que très rarement du bon cinéma).
Eric Debarnot