« Alessia » de Zidrou et Merveille : la dolce vita ?

Dans un style pas si éloigné de celui des classiques de Loustal et Paringaux, Zidrou et Merveille nous offrent avec Alessia une tranche de vie pas si douce que ça à Capri…

Alessia image
© 2024 Zidrou / Merveille / Delcourt

« Le temps est un mufle, un vandale… J’étais un Modigliani, je suis devenue un Bernard Buffet« , se plaint la Marchesa, avec une distinction aussi ironique que tragique, à son ami (?), le célèbre peintre Richard Gordon Cactus, à la peau verte hérissée de picots, venu lui rendre visite dans sa villa sur la côte amalfitaine. C’est dire qu’une vie d’oisiveté et de luxe (pour elle), ou de succès artistique et d’indolence (pour lui) n’a jamais préservé quiconque de la mélancolie, voire, pire, du désespoir. Même si ces maux se soignent mieux à Capri à coup de grappa que dans bien d’autres endroits moins enchanteurs de notre planète.

Alessia couvertureAlessia est un livre extrêmement séduisant, alignant des dialogues brillants, tournant autour de tourments existentiels – à la fois légers dans leur expression et profonds dans leur complexité -, et dégageant une mélancolie tenace grâce au graphisme « ligne claire » de David Merveille, mis en valeur par des couleurs paradoxales, à la fois anti-naturalistes et évidentes. C’est surtout un livre qui privilégie les sensations diffuses, celles offertes par le soleil sur la peau, l’eau de la mer sur le corps, le goût d’une glace sur la langue, au détriment d’une véritable intrigue. Si drame il y a – et il y en a bien un -, c’est celui qui se joue derrière les allusions voilées, dans les regards dissimulés derrière les lunettes de soleil, sur la musique de la face B d’un disque. C’est le drame ordinaire, même chez des personnages aussi extraordinaires que Cactus ou la Marchesa, de l’amour perdu que l’on ne réussit pas à oublier, de l’âge qui s’avance alors que le fameux « sens de la vie » reste toujours aussi insaisissable. Il y a quelque chose dans Alessia, accentué par le fait que le récit se déroule dans les années 60, qui évoque certains des meilleurs livres de Loustal et Paringaux, avec peut-être moins de cruauté.

Car, en dépit de la tristesse insondable dissimulée derrière l’humour multi-usage que pratiquent les « héros » (le fameux dialogue mis en exergue du livre : « – Le bonheur est un don, Riccardo. – Un don ? Alors, il faut croire que les ai tous, sauf celui-là !…« , la beauté de la vie surgit, grâce à un adolescent dont le bon sens, très terre-à-terre, offre à Cactus une autre perspective sur une existence possible, plus simple.

Soulignons pour finir la très belle idée de remplacer le personnage central du récit, le peintre, par un… cactus, dont la morphologie envahit d’ailleurs toutes ses toiles. C’est un peu l’aviateur-porc de Porco Rosso, mais c’est aussi une manière élégante qu’a Zidrou de symboliser l’égocentrisme de l’artiste… et de déboucher sur une très belle conclusion, à la dernière page, qui marque aussi la reconnaissance que la vie vaut la peine d’être vécue autant que peinte, grâce à l’Amour.

Eric Debarnot

Alessia
Scénario : Zidrou
Dessin : David Merveille
Editeur : Delcourt
96 pages – 19,50 €
Date de publication : 9 octobre 2024

Alessia – Extrait :

Alessia extrait
© 2024 Zidrou / Merveille / Delcourt