Aimez-vous la country music ? Il y a de grandes chances, si vous êtes français, que vous répondiez « non ». Baptiste W. Hamon, comme nous d’ailleurs, rétorquera que vous passez à côté de quelque chose de merveilleux, et pour asseoir son opinion, il vous propose un album de Country, à la fois très français et très « roots ». Un enchantement.
« On s’est toujours foutu de ma gueule / Quand je disais que j’aimais / La musique country / Oh mais moi je suis fier de ma gueule / Je sais tout ce qu’elle me donne / La musique country » (Oh que j’aime la musique country)
Droit dans ses bottes – des santiags, bien entendu, Baptiste W. Hamon ! Il nous sort un nouvel album, deux ans après le lumineux et gouleyant Jusqu’à la lumière, qui s’appelle bravement Country, et qui montre sur sa pochette une route désertique très américaine, sur laquelle il marche, transistor (Quoi ? Quelqu’un ici se souvient encore de cet appareil d’où sortait jadis de la musique ?) à la main et stetson noir vissé sur la tête. Un disque de dix chansons de pure « musique country », sans vergogne aucune, nous offrant son amour pour cette musique pourtant souvent ridiculisée chez nous. Mais aussi un disque de country music chantée en français, comme l’on fait avant lui, et avec succès, comme il l’explique dans sa présentation de l’album, Eddy Mitchell (Sur la route de Memphis), Joe Dassin (Salut les amoureux), Johnny, Hugues Aufray, Véronique Sanson, ou Nana Mouskouri. Soit des références pas très rock, alors ajoutons à cette liste un Jean-Louis Murat, lui aussi persuadé que cette forme bizarre de musique populaire – typique des blancs du Sud des USA – n’était pas incompatible avec l’ambition musicale et poétique.
Il y a quelque chose de bien particulier dans la country music, au delà de son image – pas fausse bien sûr – de musique « white trash », adorée par les culs terreux racistes et trumpistes du Sud des USA : une émotion brute qui suinte de ses guitares acoustiques, de ses pedal steels larmoyantes (pas facile pour tout le monde, le son de la pedal steel guitar !), de ses textes qui ressassent encore et encore tous les détails sordides de vies banales. Toujours largement méprisée chez nous, la country s’impose doucement : grâce à des artistes de haut niveau (Johnny Cash, Townes Van Zandt, Willie Nelson, Emmylou Harris…), les rockers reconnaissent que, derrière les stetsons et les santiags, il y a de tragiques histoires de désolation, d’amour perdu, de quêtes d’identité…
Et Baptiste Hamon, dans tout ça ? Le musicien français trace depuis toujours un sillon unique, entre l’Amérique des grands espaces et la France des poètes de la vie ordinaire. Avec Country, son dernier – et très personnel album -, Hamon recherche plus que jamais un équilibre entre deux mondes. Au delà de sa position, joliment sincère et pourtant assez humoristique, de « défense de la country music », Hamon y chante aussi ses doutes, ses fêlures, sans jamais aller vers la surcharge (soit une mauvaise tendance qui caractérise souvent la country « ordinaire » !). Surtout, Baptiste Hamon chante en français, on l’a dit, tout en puisant dans l’énergie et les codes de la country : pas question de céder à la tentation d’imiter leurs héros américains. En restant fidèle à sa langue et à ses racines, il fait se rencontrer des univers qui, a priori, n’étaient pas destinés à cohabiter.
D’un côté, il y a la plaisante vulgarité d’un monde – celui du Sud des USA – perpétuant ses traditions les plus caricaturales (« J’ai poussé les portes / D’un club de cowboys malfamés / C’est pas dit que j’en ressorte / Y a que des soulards et des camés / Mais j’ai le diable au corps / On va s’marrer y a pas d’raison / J’vais m’laisser glisser sans effort / Dans cette fièvre Honky Tonk » dans Fièvre Honky Tonk). De l’autre il y a les doutes d’un artiste qui galère (« Je ne deviendrai jamais une super star / Ma voie est sans issue, sans même un espoir / … / Je resterai l’obscur qui vit dans le noir » dans Je ne deviendrai jamais une super star, ou encore « Au fait t’fais quoi toi dans la vie ? / Moi j’suis chanteur et puis j’écris / Chanteur comme qui, comme Moustaki ? / Ou plus funky comme Clara Luciani ? » dans Je ne suis pas Georges Moustaki).
Et entre les deux, ou bien alors peut-être par dessus tout, il y a l’angoisse d’un monde moderne de plus en plus déboussolé. C’est bien pour ça que le single de Country, et son titre le plus marquant, est un réglement de compte avec tous les nuisibles, qu’ils soient américains ou français, ou de n’importe où d’ailleurs : « J’connais des gens qui disent des choses / Et font l’contraire impunément / Des gens qui défendent des causes / Mais qui font ça que pour l’argent / J’connais des gens bien généreux / Qui t’reprennent tout en un rien d’temps / Et y en a même bien propres sur eux / Qui prônent la haine à tout bout de champ« , chante, avec – et en dépit de – la gentillesse qu’on lui connaît, Hamon sur J’connais des gens.
Il nous faut donc bien admettre que Country, s’il rend un hommage sincère aux influences de Baptiste Hamon, n’est pas seulement un album pour les amateurs du genre : il séduira quiconque cherche de la beauté dans la simplicité, de l’émotion dans chaque intonation, de la vérité dans chaque mot.
Et ça, ça ne se trouve sous le sabot d’un cheval !
Eric Debarnot
Un grand merci pour cette découverte, aujourd’hui, maintenant. Revoilà Baptiste W. Hamon, revoilà le soleil, les gars !