Ada reconstruit le passé de sa famille très cosmopolite en partant de son enfance enchantée par son grand-oncle avant de devenir une adolescente et une jeune femme écorchée vive…
Perlinghi, ce nom a déjà traversé mon espace littéraire, c’était à l’occasion de la lecture du livre de Xu Feng, racontant les exploits d’une scientifique chinoise mariée à un médecin grecque et vivant en Belgique où elle a sauvé plus de cent otages d’une mort certaine. Cette héroïne, un peu oubliée maintenant, est apparemment la grand-mère de Tatiana qui cherche dans ce texte construit comme un puzzle à mieux comprendre ses racines familiales notamment la partie grecque.
Son récit commence par le témoignage de son enfance heureuse passée à Bruxelles avec son frère, Micha, et leur grand-oncle (Diadia en grec) Anatole adoré. Elle apprendra plus tard qu’il a fait fortune grâce à son inventivité et à son ingéniosité, qu’il était homosexuel et rescapé de la résistance grecque, C’est ainsi qu’il avait beaucoup de temps et d’amour à donner à ses petits-neveux. Le premier accroc dans ce bonheur familial éclate quand Diadia décède et un peu plus tard quand Ada (Adélaïde, Adèle, suivant les circonstances), l’auteure, est traumatisée par un attentat qui lui laissera des séquelles traumatiques qu’elle gardera toute sa vie. La fin de son enfance sera marquée par une dérive dans les groupes contestataires de plus en plus violents. Son frère Micha sera arrêté par la police. Cette dérive l’éloigne d’un père très autoritaire et d’une mère qui joue à la grande bourgeoise qu’elle n’est pas.
Elle retrouve son adolescence brouillonne, révolutionnaire, débridée dans le journal qu’elle a tenu à cette époque. Après des études compliquée, émaillées d’indiscipline, d’arrogance, et de révolte contre le système, elle construit péniblement une carrière de reporter, journaliste, documentariste, photographe de presse. Elle se consacre surtout à la défense de la cause des migrants jusqu’à tomber amoureuse de l’un d’eux qui l’utilise comme relai avant de gagner l’Angleterre comme beaucoup d’autres.
Après s’être réconciliée avec son père qui décède peu après, elle découvre le passé de son grand-oncle adulé, et les mystères que recèle son arbre généalogique. Son frère parti aux Etats-Unis, sa meilleure amie étant devenues mère, son amant migrant l’ayant délaissé pour poursuivre son exode, elle décide de partir pour l’ile de Céphalonie, afin de boucler la boucle ouverte par un ancêtre italien venue s’installer sur cette île pour y cultiver la vigne. Cette île où le grand-oncle s’est battu contre les nazis, où il a légué à un pauvre démuni sa cabane et son terrain, cette île où vit toujours une autre branche de la famille en produisant un excellent vin. Cette île qui pourrait être son paradis… cette île sœur jumelle de celle où un célèbre navigateur de la mythologie grecque a lui aussi bouclé une boucle après un long voyage…
Ce roman construit de différentes pièces, intégrant des morceaux d’un journal intime, des parcelles de documents divers, des témoignages, etc, raconte une histoire qui pourrait ressembler à celle du grand-père de l’auteure qui a jeté l’ancre en Belgique où il a épousé une scientifique chinoise venue étudier à Louvain. Ce texte comporte de nombreuses références littéraires, cinématographiques, musicales et autres encore… De nombreuses assonances, métaphores et formules imagées qui lui donnent plus de couleur et de relief. Certains éléments sont récurrents comme la fragilité stomacale des personnages qui vomissent souvent, l’homosexualité qui semble se transmettre dans une branche familiale (dixit l’auteure).
Si vous lisez ce livre, je vous conseille de lire la biographie de Qian Xiuling, épouse de Perlinghi, grand-mère de l’auteure, héroïne de la résistance belge, écrite par Xu Feng et publiée chez le même éditeur sous le titre Oubliez-moi. Les deux livres sont complémentaires. Même si celui-ci n’est que pure fiction, il semble bien s’inspirer de la vie de la famille de Perlinghi.
Denis Billamboz