Cédric Apikian et Denis Rodier nous entrainent dans les ruines du Berlin du 3e Reich, à la recherche des clichés cachés de la « troisième Kamera » du photographe du Führer. Une quête de vérité au cœur du chaos.
Mai 1945, Berlin succombe sous les bombardements russes. Alors qu’il tente de fuir, Krabe, un reporter d’une Propaganda Kompanie, surprend un officier nazi tirant sur ses propres soldats. Au même moment, le lieutenant Frentz, le photographe attitré du Führer est capturé. Le destin de Krabe va se trouver lié à ceux de Frentz, du forcené et d’un Américain qui enquête sur les exécutions de masse.
Le scénario de Cédric Apikian, à qui l’on doit le sombre La Ballade du soldat Odawaa, part d’un fait historique méconnu, le rôle des photographes de guerre allemands, pour en tirer une histoire captivante, bien que peut-être inutilement complexe.
Dès le début de la guerre, le régime nazi met en place un corps de photographes professionnels chargé de promouvoir et de contrôler l’image de l’armée, que ce soit à l’exercice ou au combat. Dirigé conjointement par le haut état-major et par Joseph Goebbels, le ministre de la propagande, il comprendra jusqu’à 2500 photographes et 700 cameramen, tous sous l’uniforme. Chaque reporter possède deux appareils dont les pellicules sont contrôlées par l’institution. Souvent, un troisième boitier lui permet de prendre ses propres photos, dont les négatifs, illicites, seront envoyés chez lui pour y être cachés. Espérant y trouver des preuves de crimes de guerre, les forces d’occupation alliées vont tenter de les retrouver.
Le dessin de Denis Rodier sait se faire éprouvant. Le Berlin en ruines rappelle le Tokyo de Sengo de Sansuke Yamada. Que ce soit dans la représentation de la destruction de la ville ou dans des scènes d’exécution, il rend compte de la violence extrême qui règne dans la cité anéantie. La faim, la peur et la soif de vengeance semblent y autoriser tous les excès, toutes les atrocités. Le trait précis et réaliste est bien secondé par les cadrages et une colorisation ocre et grise, poussiéreuse et morbide.
Un riche dossier vient nous éclairer sur le contexte historique. Participant au culte du surhomme germanique, ces photographes ont magnifié la guerre. On ignore s’ils adhéraient aux idées du parti, la plupart faisaient juste un travail, le mieux possible. D’ailleurs, les troisièmes « Kameras » n’ont pas répondu aux attentes des juges alliés : prudents ou horrifiés, ils se sont bien gardés de photographier les crimes de guerre, tout au plus ont-ils pu contribuer, en tirant les portraits des assassins, à traduire la triste banalité du mal.
Stéphane de Boysson