« Sarah Bernhardt, La Divine » : Portrait d’une femme libre, passionnée et spirituelle

Sarah Bernhardt, La Divine décevra ceux qui s’intéressent à la Sarah Bernhardt comédienne de génie. D’un classicisme soigné mais empesé, le film de Guillaune Nicloux se laisse cependant voir sans déplaisir, grâce, principalement, à la performance de Sandrine Kiberlain.

Sarah Bernhardt, La Divine: Sandrine Kiberlain

Clémenceau voyait en elle un « trésor national » et c’est pour elle que Cocteau inventa l’expression « monstre sacré ». Comédienne adulée, amoureuse passionnée, femme d’affaires avisée, citoyenne engagée, elle fut tout cela à la fois. Au cinéma, elle eut le visage de Greta Garbo dans un film que l’on crut longtemps perdu, avant de prendre en 1976 celui de Glenda Jackson dans The Incredible Sarah de Richard Fleischer. Des références qui auraient pu être écrasantes pour Sandrine Kiberlain, la Sarah de Guillaume Nicloux. C’est pourtant son talent qui va sauver d’une certaine médiocrité Sarah Bernhardt, La Divine auquel elle apporte la tonitruance et la fragilité de l’iconique « impératrice du théâtre ».

Sarah Bernhardt, La Divine« La divine » : c’est ainsi que l’appelait Lucien Guitry, célèbre comédien et père de l’illustre Sacha. Sans doute n’est-ce pas un hasard si ce surnom a donné son titre au film. En effet, à partir de deux épisodes de la vie de Sarah Bernhardt – l’amputation de la jambe droite qu’elle dut subir en 1915 et le jubilé qu’organisèrent ses amis en son honneur en 1896 – c’est la relation passionnée qu’elle entretint avec Lucien Guitry qui est mise au centre du récit, un parti pris qui permet au réalisateur de donner une image tout en contrastes de la comédienne : d’un côté une femme forte, sûre de son talent, impitoyable avec son entourage, de l’autre une amoureuse vulnérable, prête à toutes les concessions et toutes les bassesses pour conserver celui qu’elle dit être l’homme de sa vie. Les hommes ne manqueront pourtant pas dans la vie de Sarah Bernhardt qui se veut une femme libre. Libre de multiplier les amants, de préférence riches et/ou célèbres – outre Lucien Guitry, il y eut Victor Hugo, Samuel Pozzi, Robert de Montesquiou, Edmond Rostand , Mounet-Sully, Gustave Doré… – et d’être ce que l’on appellera plus tard « une mère célibataire » – son Maurice adoré est le fils du prince de Ligne ; libre d’aimer ouvertement les femmes – la peintre Louise Abbéma ; libre aussi, symboliquement, de délivrer son corps de la contrainte du corset. Sarah Bernhardt nous est montrée dévorant la vie, multipliant les activités, comédienne certes, mais aussi directrice de théâtre, femme d’affaires rompue à l’art de vendre son image, citoyenne engagée défendant Dreyfus contre tous, grande voyageuse soucieuse d’étendre sa renommée jusqu’en Amérique. Sarah Bernhardt, c’est un rire soudain et éclatant, celui d’une femme courageuse face à la maladie, adepte de tous les excès, extravagante – elle dort dans un cercueil et s’entoure d’animaux exotiques – et follement spirituelle, pratiquant volontiers l’auto-dérision, même à propos de sa jambe manquante. Mais le film ne dissimule rien non plus, des côtés plus sombres de sa personnalité : ses sautes d’humeur relevant sans doute de la pathologie, ses caprices, ses exigences envers son entourage qui confinaient parfois à la cruauté, les indignités auxquelles la conduisit sa passion pour Lucien.

Si le choix peut paraître pertinent ou du moins défendable de centrer le film sur deux dates clés dans la vie de Sarah Bernhardt, 1896 et 1915 – l’une qui la montre en pleine gloire mais fragilisée par l’éloignement de Lucien, l’autre, sur le déclin mais forte d’une relation amoureuse apaisée – il s’accompagne hélas d’une structure bien peu inventive : un long flashback, récit intime fait par la comédienne à son filleul Sacha Guitry, qu’encadrent les scènes relatives à son amputation. Il a aussi pour conséquence une impression de concentration artificielle sur le mode du « tout Sarah Bernhardt en une heure trente-huit », tandis qu’autour d’elle on croit voir défiler le Bottin mondain de l’époque, aristocrates et artistes mêlés. Et c’est un peu une Sarah fantasmée que nous montre le réalisateur qui n’hésite pas à construire « La Divine » autour d’un couple qui n’a peut-être jamais existé, qui ne recule pas devant les anachronismes – de langage en particulier – et à forcer le trait pour faire de son héroïne une icône féministe. Pourquoi pas ? En revanche, on peut regretter le peu de place accordé à Sarah l’actrice, absente même des images d’archives qui ouvrent et ferment le film. On la voit diriger sans ménagement les comédiens qui l’entourent dans Lorenzaccio ; on l’entend prononcer cette phrase extraordinaire avant d’entrer en scène « Laissez-moi, il faut que je me quitte ». Mais elle n’apparaît presque jamais sur les planches, si ce n’est dans la séquence liminaire, agonie d’une dame aux camélias que l’on aurait pu penser être la sienne, n’eût été cet imperceptible écart que parvient à faire entendre Sandrine Kiberlain, celui d’une actrice qui joue une actrice en train de jouer. Mais Sarah Bernhardt n’a-t-elle pas été toute sa vie enfermée dans une mise en scène d’elle-même, ne dévoilant que fugacement sa crainte constante de l’abandon ? C’est ce que traduit à merveille le jeu de Sandrine Kiberlain, qui met en lumière les nuances de la personnalité de la comédienne, sans jamais céder à la tentation de l’imitation. Autour d’elle, une distribution de choix, avec notamment Laurent Lafitte, un Lucien Guitry subtil, Arthur Mazet, un Sacha Guitry étonnamment mafflu, Amira Casar, une troublante Louise Abbéma, Grégoire Leprince-Ringuet, un Maurice très enfant gâté, ou encore Sébastien Pouderoux, un Samuel Pozzi suprêmement élégant.

Si « La Divine » reste, malgré toutes ces réserves, un film agréable à regarder, c’est grâce à la splendeur des décors et des costumes, à la reconstitution soignée qu’il offre d’une époque et d’un milieu, à l’alacrité de ses dialogues, à la qualité de ses interprètes, au premier rang desquels Sandrine Kiberlain. Mais malgré quelques partis pris qui témoignent d’un regard intéressant sur le genre du biopic et d’un désir de s’écarter de ses codes le plus courants, il reste d’un classicisme plus estimable qu’enthousiasmant, ne parvenant pas, en dépit de la liberté qui caractérisait Sarah Bernhardt, à se libérer de bien des carcans. Un film corseté pour évoquer celle qui ouvrit la voie à libération du corps de la femme, un comble !

Anne Randon

Sarah Bernhardt, La Divine
Film français de Guillaume Nicloux
Avec Sandrine Kiberlain, Laurent Laffite, Amira Casar…
Genre : biopic
Durée : 1h38
Sortie le 18 décembre 2024

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