Pendant l’Occupation, voici le monde des collabos antisémites décrypté de l’intérieur : dans ce roman autobiographique, l’historienne Cécile Desprairies dresse un portrait intime de son passé familial. Pour mieux s’en libérer.
Cécile Desprairies est historienne, spécialiste des années d’occupation et de collaboration, une période sur laquelle elle a écrit plusieurs ouvrages très sérieux. On la découvre ici avec son seul roman, très autobiographique, La propagandiste, un roman de 2023 qui vient de sortir en poche : un de nos derniers coups de cœur de l’année !
La propagandiste dont il est question, c’est Lucie, nom de code dans le roman pour sa maman.
La vocation d’historienne de Cécile Desprairies pour l’occupation et la collaboration s’explique alors : elle est née dedans !
Ou plus exactement elle est née après (une fois sa mère remariée), mais dans une famille de collabos antisémites qui n’a jamais tourné la page : dans les années 40, maman s’efforce de « traduire » et promouvoir en France la propagande allemande et l’idéologie nazie. Et elle est plutôt douée, “elle est même qualifiée de « Leni Riefenstahl de l’affiche » !”.
Elle a épousé en premières noces Friedrich, un nazi bon teint, un biologiste passionné par les théories des gènes et des races.
Il y en aura d’autres dans la famille, un second époux (le père de l’auteure), et puis des tantes, des oncles, … tous ont trempé dans la collaboration et se sont enrichis par spoliation et usucapion.
Il est facile de dépeindre les collabos de l’époque comme d’affreux méchants : ils font d’excellents salauds dans de nombreuses histoires.
Mais Cécile Desprairies réussit là un tout autre exercice : en tirer un portrait (difficile puisqu’il s’agit « des siens »), un portrait qui ne tombe pas dans la caricature, un portrait qui nous éclaire et nous aide à comprendre.
Avec un courage remarquable, elle nous dévoile les secrets de sa famille, nous offrant un aperçu intime de son passé, maintenant que ses parents ne sont plus là.
La première partie de la vie de Lucie est une “belle histoire d’amour, certes nazie, mais d’amour tout de même”. C’est ce qui fait tout le charme et l’ambiguïté de cette femme, jeune et belle, vive et intelligente : elle est fascinante. Des collabos il y en a eu d’autres, et ce n’était certainement pas la pire.
Mais Lucie restera éternellement prisonnière de son passé, incapable de laisser derrière elle son ancienne gloire et son premier amour. Elle passera les trois quarts de son existence dans le déni de la réalité car “seul le déni lui reste. Se mentir rend les choses plus supportables”.
C’est ainsi que l’auteure va grandir dans le mensonge, le déni et le non-dit.
Depuis son enfance Cécile Desprairies cherche à décrypter dans son histoire familiale, le sens réel que peuvent cacher des mots comme occupation ou collaboration. La voici contrainte de jouer à un terrible “Jeu des Sept Familles. On ferait comme si, dans la famille nazie, je demandais le père savant fou, la mère collabo, la grand-mère morphinomane, la fillette perturbée”.
De toute évidence, cette quête a nourri ses ouvrages historiques tout comme ce roman.
Alors si vous pensiez connaître des parents toxiques, découvrez l’enfance de Cécile Desprairies !
“La petite” Coline (nom de code de l’auteure dans le roman) a grandi à Paris entourée de femmes pieds-noirs.
Tout cela aurait pu faire un beau roman de famille mais hélas, il nous faut aller au-delà des apparences, des non-dits et fouiller dans le passé de “Lucie”.
Pour comprendre ces femmes, il faut remonter jusqu’à cet hiver 1940 au cours duquel la jeune Lucie qui a tout juste vingt ans, va faire la connaissance d’un alsacien étudiant en médecine.
Lucie et Friedrich, unis dans leur quête d’un monde nouveau et plus pur, filent le parfait amour. Lui, plongé dans la biologie, elle, dans la propagande anti-juive, tous deux œuvrent avec ardeur à façonner cet avenir qu’on leur promet.
À Paris, “le logement du couple a été fourni par le Commissariat général aux questions juives, qui a constaté que le locataire en était « parti »”.
Ils fréquentent Céline (l’écrivain) et Philippe Henriot, “le Goebbels français”, ils participent aux “conférences de l’Institut d’étude des questions juives. L’IEQJ est une sorte d’institut d’opinion sur la « question juive » (c’est le temps où la question n’a pas encore trouvé sa Solution).”
Mais après la Libération, sa mère ne pourra jamais tourner la page et regrettera toujours et son premier amour et cette belle époque où tout lui souriait, où tout lui semblait possible.
Bruno Ménétrier