Vingt Dieux, premier film de Louise Courvoisier ancré dans sa région, le Jura, enthousiasme grâce à un récit d’initiation incarné par des acteurs touchants.
Le cinéma régional a le vent en poupe : encouragé par des politiques de production efficaces par les régions, il permet l’émergence de cinéastes et la mise en lumière de leurs territoires. Après la Camargue d’Animale, la Lorraine de Leurs enfants après eux, et avant le Sud de La Pampa, Vingt dieux propose une virée dans le Jura. La jeunesse y vit une réalité sensiblement différente de celles des citadins, mais finalement en prise avec les mêmes enjeux. Le personnage principal va ainsi suivre un récit initiatique où il lui faudra passer de l’oisiveté désenchantée à l’âge adulte, le tout avec les horizons singuliers que lui propose le décor.
Louise Courvoisier, qui signe ici son premier long, se met avant tout au diapason d’un univers authentique, où le romanesque cède le pas aux aspérités. Totone, du haut de ses dix-huit ans, n’est pas aussi fort qu’il pense l’être, ne tient pas l’alcool, et livre de piètres performances avec les filles. La caméra qui l’accompagne, à juste distance comme pourrait l’être celle de Dumont, se contente de le suivre et de prendre acte : autour de lui, le monde l’attend. Un drame, une opportunité, un rêve, des résistances et des désirs lui permettront d’initier un parcours non sans difficultés, mais au cours duquel il deviendra un être sensible.
Le récit patine certes un temps lors de la préparation du concours, dérivant vers un documentaire un peu trop didactique sur la fabrication du Comté, au risque de s’enliser dans cette ornière d’un film qui se ferait phagocyter par France 3 Région. Mais la trajectoire sera rapidement corrigée.
C’est là l’un des intérêts du film que de se jouer assez rapidement des balises traditionnelles. L’idée du concours, qui convoque une écriture à la Ken Loach (on pense à la bande d’amis de La Part des anges), un comique prolo oscillant proche de The Full Monty et une escroquerie proche de celle de First Cow, devient assez rapidement un prétexte. Mieux, c’est son abandon progressif qui devient le cœur même de la progression du personnage. Non qu’il apprenne de ses erreurs, mais plutôt parce qu’il va ouvrir les yeux sur ceux qui l’entourent. De ce point de vue, l’attention portée aux personnages secondaires s’avère déterminante : une amoureuse qui sera clairement celle qui conquiert, une petite sœur qu’il faudra bien apprendre à aimer, et des amis qu’il faudra risquer de perdre. La touchante incarnation des comédiens amateurs, directement castés sur place, participe de cette authenticité (par instant émaillée par une musique un peu trop présente) et permet au film un double mouvement enthousiasmant : alors que le spectateur a le sentiment d’avoir fait connaissance avec un univers pourtant proche de lui, le personnage aura appris à y définir sa place.
Sergent Pepper