Adaptation luxueuse et très élégante du roman de Richard Malka, Voleur d’amour suit un vampire bien particulier à travers les siècles et le globe, et renouvelle de manière pertinente le mythe inusable du monstre buveur de sang.
Connaissez-vous le voleur d’amour, le livre de Richard Malka ? Publié en 2021, ce roman, en adoptant une approche moderne et intime, revisite le mythe du vampire, à travers le personnage d’Adrian, un homme condamné par sa nature – ou bien par une mystérieuse maladie – à « voler » l’amour des autres pour survivre. Il se présente comme une lettre d’adieu d’Adrian à Anna, « l’amour de sa vie », un récit épistolaire traversant les siècles et les continents. Original et bien reçu par la critique, c’est le genre d’ouvrage qui appelle naturellement une adaptation en images. Ni le cinéma, ni la télévision ne s’y étant – pour le moment – risqué, c’est Yannick Corboz, par ailleurs illustrateur de jeux vidéos, mais aussi déjà dessinateur d’une série adaptée de romans de Pierre Lemaître (Brigade Verhoeven), qui s’est lancé dans une version BD de la vie torturée d’Adrian…
… Car, au cours de sa très longue existence – le « vampire » étant, comme toujours, immortel – Adrian va parcourir le monde entier, et traverser toutes les strates de l’histoire humaine : du désert polaire aux splendeurs de l’Himalaya, de l’opulence orientale de Constantinople aux dangers des ruelles de Rio de Janeiro, avec Venise comme « lieu d’origine » et New York comme base de son empire financier, Adrian se nourrit – physiquement et émotionnellement – de l’amour qu’il « extrait » de ses victimes, mais ne réussit pas à combler le vide de plus en plus terrible de son âme. Il croit en l’Amour d’une femme, Ana, rencontrée puis perdue de par sa faute, et il passe son éternité à essayer de la retrouver. Mais c’est l’Art, et surtout la littérature, qui lui permet de survivre à la solitude et aux horreurs dont il a été le témoin. Jusqu’au moment où le suicide lui paraît être la seule issue possible à son calvaire…
Yannick Corboz s’empare de cette histoire, presqu’une saga, au romantisme déchaîné, et en fait un superbe objet, ce qu’on appelle un « beau livre », idéal comme cadeau pour les fêtes : un grand format (25×34 cm), une couverture magnifique, et une garantie de satisfaction du lecteur, le scénario ne s’éloignant que peu du livre original, en recourant à une structure de récits alternés de narrateurs différents (pour faciliter la lecture, chaque narration est identifiée par une couleur et un lettrage différents pour son texte). Le dessin a des allures d’aquarelles légères, avec des traits de contours peu marqués, faisant écho au style de Malka, élégant, mélancolique : il ne s’agit pas ici de surligner dramatiquement les péripéties d’un thriller horrifique – ce que, indiscutablement, le voleur d’amour est… -, mais d’évoquer des sentiments, des sensations, des atmosphères.
Grâce à l’ancrage historique du récit, du XVIIème siècle à nos jours, et à sa concentration sur l’exploration psychologique du personnage du vampire, le voleur d’amour interroge les notions d’amour, de malédiction, et de quête d’humanité. C’est une lecture plaisante, même si l’on s’autorisera des pauses au milieu de ce long voyage, de ce foisonnement d’aventures – souvent violentes – et de sentiments déchirants : l’effet de distanciation créé par la narration épistolaire joue parfois contre l’implication du lecteur. Finalement, il manque surtout à ce beau récit une dose de folie, ou bien seulement d’audace, qui le rende plus saisissant, plus mémorable.
Eric Debarnot