cumgirl8 – the 8th cumming : Forces désordre

Comme son nom pouvait le laisser supposer, cumgirl8 est un groupe qui n’a pas peur de grand-chose, au point d’ouvrir son premier album sur trois minutes d’électro-punk intitulées… Karma Police. Pas une reprise, donc, car les quatre New Yorkaises n’en font qu’à leurs têtes… et c’est tant mieux.

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Credit : Charlie Knepper.

Revendiquant la continuité de la lignée punk et féministe du mouvement riot grrrl (elles ont notamment joué en première partie de L7 et Bratmobile), Lida Fox, Veronika Vilim, Avishag Rodrigues et Chase Lombaro s’autoproclament « sex-positive alien amoeba entity », jouent aussi bien pour des afterparties de créatrices de mode que dans des stations de métro, et distribuent parfois des pilules abortives durant leurs concerts. Après deux EP elles gagnent en visibilité et attirent l’attention de 4AD, qui les signe officiellement en 2023. the 8th cumming est donc leur premier album labellisé. On connaît la façon dont la critique cinéma a théorisé les mérites et les excès inhérents à un premier film, dans lequel on aurait tendance à mettre toutes ses envies créatives, quitte à risquer le trop-plein, comme si l’opportunité de donner corps à une vision artistique ne devait jamais se représenter. Si l’on prend la peine de décliner cette grille d’analyse au médium musical, the 8th cumming est un cas d’école. D’école buissonnière, certes, mais c’est précisément ce qui le rend intéressant.

Comment décrire l’écoute de the 8th cumming ? Comme mentionné plus haut, Karma Police (sérieusement, quelle idée formidable pour un premier titre !) fait péter le bouchon sur un tempo énergique, où la voix de Lida Fox nous parle immédiatement de vomi facial et de masturbation mentale (à moins que ce ne soit l’inverse ? Le doute est permis) et de bagages égarés, avant d’arriver à la conclusion que quand les forces de l’ordre ne sont pas à la hauteur, il est important de pouvoir compter sur la rétribution cosmique. Musicalement, on se dit que le mélange entre guitares réverbérées et synthés épileptique est une direction suffisamment ludique pour dicter la totalité d’un projet, mais nous nous trompons déjà. Voyez-vous, ce n’est qu’un début. La seconde chanson est intitulée ahhhh!hhhh! (i don’t wanna go). Je pourrais parfaitement m’arrêter là, boucler cette critique sur cette information et considérer que votre curiosité rendra l’écoute de l’album obligatoire, mais ce serait une piètre manière de rendre justice à sa qualité. Cette seconde composition reprend les ingrédients de la précédente, avec la volonté apparente de les fusionner plus étroitement encore. La cadence est plus sage, mais le reste ne l’est pas. Les hoquets vocaux imitent les sursauts des synthés (à moins que ce ne soit l’inverse ? Le doute demeure) et les guitares se camouflent littéralement partout. mercy démarre sur une belle intro, avec un charleston très typé années quatre-vingts et des accords crunchy qui laissent les synthétiseurs colmater leurs brèches.

À l’inverse, hysteria! est délibérément robotique et anachronique, comme une androïde échouée dans un bar à karaoké cyberpunk. Les paroles nous disent aimer « quand les boutons se détraquent » et l’intermède synthétique de la deuxième minute interdit formellement de leur donner tort. Bien joué. Le tempo s’envole à nouveau sur uti et son chant scandé qui déroule tout un programme (« uti, fml!», comprenez « infection des voies urinaires, nique ma vie ! »). En quatre minutes, tout fout le camp, les voix se transforment en gremlins et les guitares sont enrouées (ou l’inverse, car le doute fait un sit-in), et on commence à se demander ce qu’une infection intime peut signifier pour un robot. Une forme d’oxydation ? Un court-circuit ? Pas le temps de trancher, car simulation nous ramène vers la new wave en minaudant avec art sur une pulsation de Teletubbies gothiques. Si ça vous fait peur, dites-vous que c’est probablement l’intention, puisque les guitares donnent l’impression de se payer la tête (ou les oreilles) de l’auditeur pendant un peu plus de la moitié de la chanson.

La ligne de basse de girls don’t try, en revanche, semble digne de confiance, comme un genre de grande sœur cool qui prêterait sa veste à paillettes et ses cds de Bikini Kill avec l’espoir sincère d’éduquer la nouvelle génération. Les paroles sont marmonnées au point où il est difficile de les déchiffrer, mais les mélodies n’en sont pas moins infectieuses. L’esthétique pop trépanée de iBerry est quasiment un rejeton mutant de Blondie et Eurythmics à l’heure de l’IA générative dégoulinante, et je formule ça comme un compliment. La distorsion sur les synthétiseurs est si crade qu’on aimerait s’y rouler comme un petit porc dans la fange. Et pour être parfaitement honnête, je dois dire que le grain saturé de ny winter n’est pas mal non plus. J’exige de savoir quel est l’effet sur la ligne de basse à la deuxième minute. C’est pour un ami. Blague à part (enfin, presque), je suis intimement convaincu que somebody new a pour but d’induire une forme d’hypnose en fin d’album, pour précipiter l’auditeur vers une dimension métaphysique où the 8th cumming ne s’achève jamais, mais tourne à l’infini en effaçant la mémoire du sujet qui, une fois arrivé à cette dernière chanson en forme de boucle temporelle, se dit effectivement qu’il vient de trouver un truc tout neuf. L’album se termine, mais tout recommence. Ou l’inverse. J’ai un doute, putain.

Mattias Frances

cumgirl8 – the 8th cumming
Label : 4AD
Sortie : 4 octobre 2024

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