« Oh, Canada »: le porte-parole entravé de toute la condition humaine

Encore un film sur la rédemption, thème quasi obsessionnel du cinéma de Paul Schrader ? Oui… et non, car l’approche de la m  ort affecte profondément le traitement du vieux sujet de l’auteur, et fait de Oh, Canada l’une de ses plus claires réussites.

Oh Canada
Uma Thurman, Richard Gere – Copyright Oh Canada-LLC ARP

Le cinéma de Paul Schrader, que ce soit dans ses scénarii ou ses réalisations, s’est toujours attaché à la thématique de la rédemption. Avec plus ou moins de finesse, le cinéaste accompagne des épaves humaines, torturées par leurs actes passés ou leurs manquements présents, la formule étant devenu un véritable canevas sur ses trois derniers films, où l’on varie simplement sur le statut du personnage : un prêtre (Sur le chemin de la rédemption), un joueur de poker (The Card Counter) ou un horticulteur (Master Gardener).

Oh Canada afficheOh, Canada, qui adapte le roman de Russel Banks, ne déroge pas véritablement à la règle : le documentariste dont on fait le portrait désire, au terme de sa vie, accorder une interview qui, loin de mettre en lumière sa légende, sera l’occasion pour lui d’une confession sans détours. Celui qui n’a cessé de donner à voir dans son travail contestataire, notamment les secrets honteux du gouvernement américain, va ainsi parachever son œuvre par une mise en lumière de ses propres zones d’ombre.

Paul Schrader le dit sans détour : il est temps pour lui de s’attaquer au thème de la mort. Cette approche change clairement la donne par rapport aux obsessions d’une vie entière : le protagoniste n’a pas à affronter ses démons pour pouvoir apaiser sa vie, mais délester son parcours pour préparer son départ. La tonalité funèbre qui s’en dégage permet un travail plus posé, moins excessif et torturé que dans ses récits précédents, assorti d’une forme de sagesse nouvelle, une acceptation qui permet de nouvelles approches narratives.

Autour de la figure d’un Richard Gere parfaitement en accord avec cette approche décapée de tout glamour sur la fin de vie, le récit va donc se déployer dans la douleur, avant tout celle de la décrépitude d’un homme puisant dans ses dernières ressources pour faire émerger sa vérité. L’occasion d’un portrait de l’Amérique des années 60, et la trajectoire d’un individu qui, voué à y jouer le rôle type, va briser le cadre pour rejoindre une contre-culture parfaitement en vogue dans les années qui suivent. La variation des temporalités, des formats, du noir et blanc et de la couleur dynamite le récit biographique traditionnel, non seulement pour remettre en cause la linéarité conventionnelle de la légende, mais aussi pour mettre au jour l’impossible quête d’un regard clair et lucide sur ce que fut son existence. Le traitement fragmentaire, qui peut rappeler Le Miroir de Tarkovski, vise aussi à saisir les contradictions entre le processus de mémoire et sa mise en scène par une sommité, adulée par son cercle de disciples, et qui voudrait corrompre toute cette entreprise de mystification. L’attention portée aux techniques d’enregistrement (le plateau, les projecteurs, l’importance du retour vidéo permettant au sujet d’obtenir le contre champ de sa confession) est autant une mise en abyme du travail d’une vie du cinéaste qu’un aveu sur ses limites quant à la conquête de la vérité des êtres.

Le film n’est pas sans générer certaines frustrations : parce que la fragmentation ne permet pas toujours le déploiement de l’émotion, et que les grandes confessions annoncées ne déboucheront pas sur les révélations cathartiques attendues. Et l’on peut s’étonner, pour un tel sujet, de le voir se dérouler sur une durée aussi resserrée (95 min), un reproche suffisamment rare pour être mentionné. Mais c’est sans doute là que se situe le véritable propos de Schrader, qui fait des interruptions, des corrections, voire de la parole en off par le procédé de la caméra espion un nouveau territoire de la confession.

En sabrant le romanesque des destinées tragiques de ses prédécesseur, Leo Fife devient le porte-parole entravé de toute la condition humaine, enfermé dans un corps qui l’empêchera, comme le récit traditionnel l’aurait exigé, d’avoir vraiment tout dit de manière intelligible avant de mourir.

Sergent Pepper

Oh, Canada
Film (coproduction USA – Israël) de Paul Schrader
D’après le livre de Russell Banks
Avec : Richard Gere, Uma Thurman, Jacob Elordi…
Genre : drame
Durée : 1h35mins
Date de sortie en salles : 18 décembre 2024