Slomosa – Tundra Rock : des airs de désert

Avec cet excellent second album, dont le format compact ne sacrifie en rien la majesté de leur son, les Norvégiens de Slomosa signent un incontournable de 2024 et s’imposent comme l’un des groupes stoner les plus excitants du moment, prouvant que l’avenir du desert rock américain est à chercher du côté de la toundra nord-européenne.

© Slomosa

C’est durant la pandémie de 2020 que Slomosa firent irruption sur nos radars, avec un premier album mettant en vedette le tonitruant single There is Nothing New Under the Sun, savoureuse mandale de rock lourd made in Norway. On y découvrait un stoner rock compact et infectieux, à classifier du côté de Kyuss, Queens of the Stone Age et autres Masters of Reality (plus proche de chez nous, on pourrait citer Loading Data). Des riffs éminemment musclés, employés au service d’une écriture foncièrement mélodique, dont le traitement de production avait le bon goût de ne pas tout céder aux tics vintage que stoner, doom et sludge ont régulièrement tendance à favoriser.

Après un changement de batteur, un changement de label et une tournée européenne en compagnie de Sasquatch et Orange Goblin, les quatre Norvégiens avaient annoncé qu’un second opus était quelque part dans les tuyaux. Malgré quelques échantillons distillés au compte-goutte à partir de juillet 2023, il fallut patienter jusqu’au premier vendredi 13 de 2024, en septembre dernier, pour pouvoir enfin expertiser l’objet dans son entièreté. Or, si le proverbe fait primer l’ivresse sur le vin, il n’en va pas de même pour nos esgourdes, qui ne roulent sous la table que sous l’effet d’une cuvée de qualité. Et puisque c’est en se faisant attendre qu’on a le plus de chance de décevoir, Tundra Rock courait le risque de perforer sa propre hype en franchissant la ligne d’arrivée. Trois mois après le photo-finish, que peut-on retenir de cette course prolongée ?

Du bien. Beaucoup de bien, même. Neuf titres, dont sept sont chantés et aucun n’est à jeter. La concision est une approche potentiellement périlleuse, rendant chaque partie plus significative dans la composition de la somme. Sur ce plan, c’est bien simple, nous avons affaire à l’un des albums rock les plus élégamment séquencés de l’année. C’est d’ailleurs son point de recoupement le plus évident avec une référence séminale du quatuor, à savoir le premier album éponyme de QOTSA. Tundra Rock partage avec lui cette efficacité continue, comme une longue jam où les chansons semblent couler le plus naturellement du monde. Dès les premières secondes, Afghansk Rev esquisse un paysage de désert gelé, parfaitement illustratif de ce que le titre de l’album pouvait évoquer. L’entrée de la section rythmique fracasse les arpèges de guitare avec une langueur qui donne envie de se rouler dans un sac de couchage au coin d’un énorme feu.

Ayant été très favorablement impressionné par There is Nothing New Under the Sun en 2020, je craignais d’être moins réceptif à un nouveau single de Slomosa, une fois l’effet de découverte dissipé. Je suis heureux d’écrire que Rice et Cabin Fever sont deux de mes coups de cœurs personnels de 2024. Deux singles d’excellente facture, dont le doublon en début d’album relève presque de la tricherie, tant il est imparable. Des riffs grondants comme un orage de montagne, une section rythmique qui swingue avec la fluidité d’un grumier sur du verglas, et un chant accrocheur qui privilégie la mélodie à la démonstration technique. En parlant de voix, d’ailleurs, le micro échoit à la bassiste Marie Moe pour l’intro de Red Thundra, où sa quatre-cordes fait diversion pour mieux laisser les guitares dynamiter le refrain. Les riffs grincent dans des baffles à l’agonie et la dernière section de la composition laisse monter le grabuge avec un plaisir non-dissimulé.

Petit intermède au piano sur Good Morning, auquel succède Battling Guns. La rythmique est circulaire, hypnotique, et il n’est pas interdit d’y chercher la paternité de The Lost Art of Keeping A Secret. Quand vient l’heure d’un solo, c’est la basse qui se met à virevolter au creux des riffs. C’est encore elle qui sonne la charge de Monomann, sorte de petit frère de There Is Nothing New Under The Sun, avec ce martelage de fûts qui ravira les fans de la fin de Kyuss et des débuts de QOTSA. Même filiation probante pour le tempo concassé de MJ, qui aurait parfaitement pu être concocté par Loading Data au détour d’une soirée crêpes après une journée de ski, ce qui est un compliment. En fin d’écoute, les coups de poignard plombés de Dune surclassent la plupart de ce que Sons of Arrakis ont récemment tiré des écrits de Frank Herbert. On commence sur une guitare acoustique balayée avec une bonHommie qui ne trompera aucun fan de Kyuss, avant de faire entrer des percussions, des riffs à l’huile de carburateur et des chœurs incantatoires qu’une autre vie aurait probablement mis dans la bouche ténébreuse du très regretté Mark Lanegan. Basse et guitares se confondent dans une tourbe fuzzée qui sent fort les entrailles d’une terre hostile dont le thermostat chercherait à trucider tout ce qui possède un système nerveux. Bref, tout cela est beau, puissant, marquant, et, surtout, justifie amplement tous les espoirs que le premier album de Slomosa nous avait fait placer sur leurs épaules encore juvéniles. Gageons que le quatuor ne fait que commencer à nous gâter.

Mattias Frances

Slomosa – Tundra Rock
Label : MNRK
Sortie : 13 septembre 2024