Si les fictions paranoïaques ont un boulevard devant elles en cette époque de montée des extrémismes, de complotisme généralisé et d’accession au pouvoir de milliardaires dangereux, The Madness part d’un constat intéressant sur la « folie » de la désinformation et ne livre rien d’autre qu’un produit basique, mal écrit, mal interprété et mal réalisé.
Toutes les périodes troubles de l’histoire contemporaine ont généré leur lot de fictions paranoïaques, livres ou films, dont les meilleures ont rencontré un indiscutable succès public, en faisant résonner l’inquiétude générale devant l’état – en général politique – du monde, avec des extrapolations crédibles de situations réelles. Au cinéma, viennent à l’esprit des « classiques » comme The Manchurian Candidate, The Parallax View ou Les Trois Jours du Condor, témoignages remarquables des doutes que la population US commençait à avoir vis à vis de ses dirigeants, dont les mensonges devenaient de plus en plus visibles. Un demi-siècle plus tard, la situation de confiance entre hommes politiques et population est totalement dégradée, les réseaux sociaux ayant joué un rôle essentiel dans la propagation non seulement des doutes légitimes, mais également des mensonges les plus éhontés sur tout et sur tous. C’est cette « folie »-là, celle de la désinformation systématique, de l’obsession des complots, et de la montée effrayante des conflits ouverts entre les différentes franges de la population, qui donne son titre à la nouvelle série – formattée « thriller paranoïaque » – de Stephen Belber, scénariste jusqu’alors relativement anonyme de séries de second plan.
The Madness raconte la fuite éperdue d’un « honnête homme » (pas tout à fait un homme ordinaire, puisqu’il est journaliste sur CNN), Muncie Daniels, qui devient la cible de ce qui ressemble à un vaste complot visant à l’incriminer pour un meurtre sanglant perpétré dans une cabane isolée dans les bois, dont il a été le témoin involontaire : personne ne le croyant, il va devoir résoudre lui-même, avec l’aide de ses proches, une énigme policière (et politique) complexe, pour prouver son innocence… Soit une histoire qu’on a lue ou vue des dizaines de fois, et qui ne présente plus guère d’intérêt, si ce n’était que Belber et son équipe la nourrissent de « faits » ou d’observations dont l’actualité est indéniable. Nous avons donc ici une sorte de « digest » de tout ce qui va mal dans la démocratie US – et dans la nôtre, en fait : des groupuscules semi-terroristes d’extrême droite suprémaciste ou d’extrême gauche « anti-fa », une police locale et fédérale (le FBI, pointé violemment du doigt dans la mini-série, ce qui n’est pas si habituel…) qui a baissé les bras et suit la règle du moindre effort pour ne pas se mettre en danger, des sociétés d’information – comme CNN – dont l’objectif est d’offrir du « spectacle » à ses clients, et même un milliardaire propriétaire de Big Data asseyant son pouvoir peu à peu en exploitant les nouvelles législations sur l’environnement. N’en jetez plus, la cour est pleine !
Car si on est d’abord stimulé par ce que raconte The Madness, et qui nous semble important, on réalise très vite que, par fainéantise ou par opportunisme, le scénario de la série joue le jeu du « tous pourris », amalgamant par exemple et sans trop de complexes le nazisme d’une certaine partie de la population blanche US et le combat historique pour la reconnaissance de leurs droits des militants afro-américains (le souvenir du père de Muncie, qui en est venu au meurtre pour ses convictions). Mettant au même niveau le complotisme décomplexé des troupes de Trump, leur déni des problèmes environnementaux, la résistance d’extrême gauche et les machinations des moguls avides de plus de pouvoir. Et finalement adoptant une position défaitiste : ils sont TOUS pourris, il n’y a rien que nous puissions y faire, mieux vaut « cultiver notre jardin » (c’est-à-dire aimer notre famille, devenir prof dans une école ordinaire, garder profil bas). Déprimant.
Mais, au delà de la mollesse de son discours, de son refus d’adresser les sujets qu’elle avait pourtant soulevés, The Madness est un mauvais thriller, qui s’éternise au delà du bon sens le long de huit épisodes, dont la moitié semble interminable, serpentant sans énergie jusqu’à une conclusion qui préfère s’en tenir à la chance et aux coïncidences invraisemblables pour offrir une solution à son « héros ». Il y a ici une sérieux problème d’écriture : les personnages sont réduits à des archétypes. Muncie, héros tourmenté (le pauvre Colman Domingo, qui a le physique d’un Idris Elba, mais n’en n’a pas le charisme : gardant la bouche ouverte 90% du temps comme un poisson hors de l’eau, il ne nous offre qu’UNE SEULE expression, celle de la douleur !), est entouré de figures prévisibles, comme le fils casse-pieds, l’épouse perdue mais toujours aimée, ou les amis ambigus. Les dialogues, en permanence lourds et explicatifs, font le deuil de toute subtilité, tandis que les retournements de situation tombent à plat, tant ils sont prévisibles. Le rythme chaotique – oscillant entre des scènes d’action manquant régulièrement d’urgence et des bavardages accablants – nous lasse dès le troisième épisode. On appréciera toutefois l’apparition de la toujours excellente Alison Wright, qui compose un beau personnage de tueuse implacable, et qui relance temporairement l’intérêt avant la catastrophe du dernier épisode.
Mal interprétée, pauvrement mise en scène, mal écrite, lâche dans son traitement de la situation socio-politique qu’elle décrit, The Madness n’est pas loin d’être une véritable honte.
Eric Debarnot