Tout le monde s’accordait pour dire que l’idée de donner une suite à l’étonnante réussite que fut Squid Game en 2021 était absurde, mais les lois du profit sont apparemment inflexibles. Mais il y a quand même une bonne nouvelle à la fin du visionnage (en format bingewatching) de ces 7 nouveaux épisodes : le pire est évité !
Rappelez-vous : septembre 2021, une série TV coréenne inconnue sur les radars prend la planète toute entière par surprise, devient un énorme blockbuster mondial, contribue à la confirmation de la prépondérance de Netflix comme fournisseur de fiction « globale ». Pour qui aime, et c’est notre cas, le cinéma et la télévision de Corée du Sud depuis la fin des années 90, le triomphe de Squid Game – qui vient deux ans après celui de Parasite sur les grands écrans – n’a rien de surprenant. Et s’avère même rassurant, quand on considère l’indiscutable supériorité sud-coréenne sur Hollywood. Car en plus, Squid Game est une excellente série, qui propose une vision à peine « science-fictionnesque » des dérives du capitalisme et du spectacle, en lui appliquant l’approche brutale, radicale même, qui caractérise les meilleures fictions du Pays du matin calme. Hwang Dong-Hyuk, son auteur (scénariste et réalisateur) et Lee Jung-Jae, son acteur principal, sont honorés dans le monde entier. Les téléspectateurs sont ravis. L’histoire aurait dû s’arrêter là. Mais, comme dans le monde de Squid Game, l’appât du gain est irrépressible, et, en dépit toute logique, une suite est mise en chantier. Qui déboule sur nos petits écrans, trois ans après, alors que nous n’avions rien demandé, et que nous ne pouvions réellement rien espérer de ce « sequel » purement mercantile…
… Ce qui ne nous a pas empêchés d’être au rendez-vous le 26 décembre, pour bingewatcher aussi rapidement que possible les 7 nouveaux épisodes mis en ligne, comme un cadeau de Noël tardif. Prêts à dégainer nos gros « guns », et à tirer sans sommation sur ce qui ne pouvait être qu’un désastre, ou au mieux le copié-collé sans imagination d’une réussite inattendue.
Sept heures plus tard, où en sommes-nous ? Soulagés d’un côté, parce que Squid Game 2 n’est pas mauvais, loin de là, même… Frustrés parce que, il faut le savoir, nous n’avons droit qu’à la moitié de l’histoire cette fois, et parce qu’il nous faudra attendre 2025 pour en connaître la fin, après un cliffhanger insoutenable concluant le septième épisode. Admiratifs aussi devant la manière dont Hwang Dong-Hyuk a réussi à reprendre le fil de son histoire sans bégayer, en enrichissant même les thématiques de Squid Game, tout en réussissant à nous refaire passer, pour notre plus grand plaisir, par certains « must » dont l’absence nous aurait sans doute frustrés… Bien joué, donc, indiscutablement.
On se souvient que Seong Gi-hun avait, in extremis, décidé de ne pas « jouir » de son succès à « Squid Game », et de rester en Corée pour se venger – et venger ses compagnons victimes des mécanismes pervers du jeu. Nous le retrouvons donc trois ans plus tard, cherchant toujours en vain, en dépit de sa fortune lui permettant d’avoir à son service une bande de mafieux locaux, à se faire « recruter » à nouveau pour jouer. Et pour mettre fin à « l’horreur ». En parallèle, le jeune flic qui recherchait son frère n’a pas abandonné sa quête, et va s’allier à Seong Gi-hun. Les deux premiers épisodes de Squid Game 2 se concentrent sur cette enquête menée par les deux hommes, et nous présentent en outre quelques nouveaux personnages que nous retrouveront évidemment dans « l’arène », quand une nouvelle série de 6 jeux mortels va démarrer.
Contre toute attente, et même si nous aurions peut-être « adoré » être « déçus », à partir du troisième épisode, nous sommes repartis comme en 2021 : ravis de revivre les mêmes situations extrêmes, de repasser par toute une mosaïque de sensations et de sentiments qui… nous avaient manqué. La maîtrise de l’écriture – en dépit de quelques longueurs çà et là – et de la mise en scène de Hwang Dong-Hyuk reste inchangée. Quelques soupçons de modernisation des personnages (des joueurs obsédés par les réseaux sociaux, un rapper influenceur, un ex-militaire transgenre) indiquent que trois ans ont bien passé, et que la série reste « dans l’air du temps ». L’histoire fascine toujours, car le retour de Seong Gi-hun, le joueur 456, introduit un effet de distanciation bienvenu : comme lui, avec lui, nous revivons les mêmes traumatismes, nous pouvons y réfléchir, les analyser, les anticiper, mais sommes aussi déstabilisés par les variantes inattendues introduites par les maîtres du jeu. Le scénario se complexifie également avec la mise au premier plan d’un nouveau « numéro 1 », dont nous connaissons a priori la duplicité, interprété par le charismatique Lee Byung-hun (JSA, A Bittersweet Life, I Saw the Devil…) : c’est là une très belle initiative scénaristique, qui est cohérente avec ce que que nous avons vu dans « la première saison », et qui a en plus le mérite de libérer un peu Lee Jung-Jae de la responsabilité de porter sur ses épaules la totalité du poids de la série.
Mais surtout, il y a une excellente idée qui enrichit le thème « sociétal », politique, de Squid Game : celle du vote systématique, « démocratique », organisé après chaque épreuve, qui divise profondément la « société » des joueurs entre ceux qui s’opposent à la poursuite des jeux, et ceux qui espèrent en tirer plus de profit. Une représentation simple, mais efficace, de notre propre adhésion aux systèmes économiques et politiques qui nous exploitent et nous oppressent, mais également de la fracture des sociétés démocratiques entre deux groupes aux opinions opposées et irréconciliables. Qui ne peuvent que se résoudre par la violence, et dans le sang. D’où un septième épisode logique – l’explosion de la violence, sous la forme d’une véritable guerre civile -, même s’il est indiscutablement trop long.
Bref, Squid Game 2 évite élégamment tous les obstacles que nous craignions, et ces 7 épisodes constituent un divertissement tout-à-fait correct, qui ne trahit pas « l’esprit de la série », et arrive même à la faire avancer dans le bon sens. Impossible toutefois de porter un jugement complet avant la diffusion, en 2025, de la fin de l’histoire.
Eric Debarnot