Pas forcément les « meilleurs » disques des années 70, mais ceux qui nous ont accompagnés, que nous avons aimés : Cosmo’s Factory, l’album-monstre de Creedence Clearwater Revival, qui concurrença les Beatles avec près de 10 millions d’exemplaires vendus…
Si je vous parle d’un groupe des années 60, composé de deux frères, qui s’aimeront à s’en détester pour finir, dont l’un est le songwriter, guitariste et producteur attitré, auteur de riffs implacables et pourtant si bien plaqués, et à leurs débuts de reprises bien senties, issus d’une famille modeste et avec un chanteur à la voix éraillée, vous me répondrez : il se trompe d’époque ! Oubliez pourtant l’Oasis des Gallagher, nous sommes bien en 1970 ! Alors, les Kinks ? Cela pourrait coller aux frères Davies (à part peut-être la voix éraillée), mais ceux dont je voudrais vous causer aujourd’hui sont de Frisco Bay.
Creedence Clearwater Revival débarquent à Londres en avril 1970 dans un quasi anonymat pour une tournée européenne de trois mois (1), à l’issue de laquelle ils finiront au sommet des charts notamment britanniques, éclipsant même… les Beatles, il est vrai au crépuscule ! De retour en Californie, ils s’enferment en studio à l’été pour terminer l’un de leurs deux chefs d’œuvre sortis cette même année 1970 : Cosmo’s factory.
Juste quand même quelques mots pour évoquer leur second album, Pendulum, sorti en décembre de la même année : une belle unité de country blues rock, avec une ballade incontournable, Have you ever seen the rain ?, sur la relation difficile entre John Fogerty et son frère Tom, et un grand et long délire psychédélique, Rude awakening # 2, où l’on devine le God Save the Queen joué au xylophone ! Un vrai tour de force !!
L’usine de Cosmo donc (Cosmo, c’est l’immense, dans tous les sens du terme, batteur barbu Doug Clifford chez qui le groupe répétait, celui qui fait du vélo sur la pochette), c’est un melting pot de tout ce qui se fait musicalement de mieux sur la côte Ouest à cette époque. Chansons le plus souvent courtes, format single d’à peine deux minutes trente pour passer en radio. Blues et rock saupoudrés de soul voire… de funk … et même indie rock (!) bien avant l’heure.
Commençons d’abord par les quelques reprises (mais à leur sauce) présentes sur Cosmo’s Factory, marque de fabrique du groupe puisque plusieurs autres figurent sur les albums précédents (Susie Q, par exemple), comme un hommage au R&B des origines : Ooby Dooby, immortalisé par Roy Orbison, Before you accused me de Bo Diddley dans le plus pur style blues memphisien, My baby left me, un des premiers tubes d’Elvis en 1956, ou le must aux relents funky I heard it through the grapevine de Norman Whitman, repris juste après par Marvin Gaye et dans une version longue de 11 (!) minutes. C’est long pour Creedence Clearwater Revival, mais c’est bon, c’est l’une des deux exceptions qui confirment la règle indiquée au paragraphe précédent.
On pourrait presque en rajouter une autre, Travellin’ Band, écrite par Fogerty sur les galères du groupe à leurs débuts dans des salles hostiles… anticipant la scène du film des Blues Brothers : « Here we come again on a Saturday night / Oh, with your fussin’ and your fightin’ / Won’t you get me to the rhyme? ». Car elle ressemble tellement par le phrasé et les accords à Good Golly Miss Molly que l’éditeur propriétaire des droits du tube de Little Richard (la chanson, j’entends) a voulu intenter un procès pour plagiat : l’affaire se soldera avant d’arriver au tribunal par un accord à « l’amiable »…
Mais ce qui fait à mon sens toute la quintessence de cette galette, c’est la réappropriation d’idées musicales et de textes engagés. L’exemple le plus frappant en est le premier titre de l’album, Rumble Tamble : deux tranches de rockabilly énergique entrecoupées d’un long et (beaucoup plus calme… quoique) intermède psycho rock. Certes, ce type d’interlude n’est pas nouveau, mais c’est plutôt la texture sonore qui interpelle : un rythme simple de quatre accords répétés (presque) à l’infini, débouchant sur la guitare crissante (crisante ?) de Fogerty, façon Sister Ray en moins sombre, et dont le son sera repris presque dix ans plus tard par la vague post punk britannique. Quant aux paroles, triste peinture de l’Amérique où tout est déjà hypothéqué (la maison, la voiture, la… vie), des acteurs à la Maison Blanche (dix ans avant Reagan, à l’époque gouverneur de Californie) vendant l’indépendance…
Evidemment plus engagées encore celles contre l’engagement des soldats US au Viêt-Nam : Run through the jungle et Who’ll stop the rain? La première était une des préférées de Tom Fogerty, pour qui « c’est comme un petit film en lui-même avec tout plein d’effets sonores », le sustain faisant notamment penser à un moteur à réaction. « C’est la chanson rêvée pour un musicien : une seule tonalité sur toute la chanson mais c’est comme s’il y en avait plusieurs ». Curieusement, elle n’apparaît dans aucune bande son de films sur le sujet… Peut-être finalement parce que John Fogerty déclarera, finalement, en 2016 au magazine Rolling Stone, que les « 200 millions guns loaded » dénonçaient plutôt (déjà ?) la prolifération des armes à feu aux USA, et que la jungle, c’était les rues des grandes villes, l’asphalt jungle de John Huston en quelque sorte.
La seconde est plus une ballade folk à double sens. Evidemment, « Heard the singers playing, how we cheered for more / The crowd had rushed together, trying to keep warm » peut faire penser à Woodstock où Creedence joua devant une foule exténuée et trempée à trois heures du matin. Mais on ne peut pas non plus s’empêcher de penser à la dénonciation de la politique américaine dans le bourbier du sud-est asiatique avec « Caught up in the fable, I watched the tower grow / Five year plans and new deals, wrapped in golden chains » symbolisée aussi par le sigle ACME inscrit en lettre rouges sur la tête de sa Rickenbacker. ACME, c’est le symbole (fictif) du complexe militaro industriel américain que l’on trouve par exemple dans les dessins animés Looney Tunes de la Warner : Vil Coyotte commande divers armes et explosifs à l’ACME pour faire son affaire de Bip Bip, lesquels d’ailleurs ne fonctionnent jamais au moment souhaité…
Enfin, trois titres plus enjoués Up around the bend au riff imparable à la Fortunate Son, Looking at my backdoor, limite country écrite par Fogerty pour son fils Josh et Long as I can see the light, ballade plus introspective sur la découverte de soi. Bref, une compilation, condensé de divers styles étonnamment cohérent avec des chansons franches et directes qui filent la patate, malgré des thèmes pas toujours joyeux !!
Un indispensable, écoulé à près de dix millions d’exemplaires, le seul single Up around the bend / Run through the jungle atteignant à lui seul la barre du million d’exemplaires et qualifié par la presse spécialisée de « two-sided monster ».
Finalement, une façon de bien commercer la décennie ….
(1) A ce sujet, vous pouvez écouter le somptueux live in Europe et surtout voir sur Netflix le très riche documentaire Travelin’ Band, sorti en 2022.
Stephan Triquet
Bonjour, merci pour cette belle chronique, qui donne envie de réécouter Creedence.
Quant au documentaire « Travelin’ Band », il n’est pas sur Netflix, ni aucun autre documentaire sur le groupe, je viens de vérifier. Pas plus sur arte.
Si quelqu’un sait où c’est visible, merci.
Bonjour
Merci pour le message
A priori il est sur Netflix US…
Au temps pour moi, à moins d’un bon VPN…
En cherchant bien, on peut trouver pas mal d’extraits sur YT, notamment sur la page officielle du groupe.
Musicalement