« La cité aux murs incertains » de Haruki Murakami : retour dans la cité de la Fin des temps…

La cité aux murs incertains nous ramène au monde que nous avions découvert il y a 40 ans dans la Fin des temps, donnant le sentiment que Murakami se répète un peu trop. Du grain à moudre pour les détracteurs de l’écrivain japonais le plus populaire dans le monde…

Murakami Photo K Kurigami
Photo : K. Kurigami

Il nous aura fallu, nous Français, attendre deux ans pour pouvoir lire La Cité aux murs incertains, le dernier roman de Haruki Murakami : publié au Japon au printemps 2023, il n’est donc disponible chez nous que ce mois-ci. On pouvait se demander la raison d’un tel décalage, cet auteur très populaire au Japon, étant également un « très bon vendeur » chez nous, en dépit de l’habituel chœur des détracteurs qui accompagne la sortie de chacun de ses ouvrages. La traductrice habituelle de Murakami, Hélène Morita, a expliqué que le travail de traduction s’était avéré particulièrement difficile, et lui a pris un an et demi. Et ce d’autant que Murakami n’aurait jamais aucun contact avec ses traducteurs pour les guider à travers des passages difficiles !

La cité aux murs incertainsCette parution tardive en France nous offre la perspective de la réception que le livre a connu à travers le monde : si les fans japonais se sont rués sur La Cité aux murs incertains dès sa sortie, ce qui témoigne bien de l’attente générée là-bas (son précédent livre, Le meurtre du Commandeur, date de 2017), la critique anglo-saxonne – le livre étant sorti voici deux mois environ aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne – a été nettement moins enthousiaste, reprochant au livre son manque d’originalité par rapport aux thèmes chers à l’auteur : la quête identitaire, les frontières entre rêve et réalité, l’amour mélancolique… bref, tout ce qui caractérise une grande partie de l’œuvre de Murakami.

Et il nous faut admettre que ces reproches sont largement justifiés : d’abord, comme la plupart des narrateurs dans les livres de Murakami (des hommes, célibataires, d’âge moyen, aux habitudes solitaires), il s’agit ici pour notre héros de glisser dans un monde inconnu, étrange. Mieux encore (ou pire encore, suivant les goûts du lecteur), le monde alternatif de La Cité aux murs incertains, nous le connaissons déjà, puisqu’il est le même que celui que nous avons découvert dans La Fin des temps (un roman datant de 1985). Souvenez-vous, même si vous avez lu ce livre il y a près de 40 ans : il s’agissait d’une ville entourée d’un mur infranchissable et gouvernée par un gardien impénétrable et impressionnant. On comprenait, ou du moins on pouvait comprendre que ce lieu – où le narrateur lisait de vieux rêves sur des crânes de licorne dans une bibliothèque – faisait partie du subconscient du narrateur. Dans La cité aux murs incertains, les personnages trouvent leur chemin vers ce même monde…

Le protagoniste est cette fois un garçon de 17 ans, qui tombe amoureux d’une fille de son âge : elle le tient à distance, sous prétexte que son « vrai moi » existe dans une ville entourée de hauts murs. Un jour, elle disparaît et le garçon n’entend plus jamais parler d’elle. Même arrivé à l’âge adulte, il continue de penser à elle, et n’est pas capable d’aller de l’avant. Dans un récit parallèle, le garçon est un homme qui arrive dans la ville qu’il a imaginée avec la fille qu’il aimait. Pour y pénétrer, il doit se séparer de son ombre, et, chaque jour, se rendre dans une petite bibliothèque pour y lire des rêves dans d’étranges orbes. Son assistante est la jeune fille de 16 ans qui ne semble pas avoir vieilli d’un jour, mais ne se souvient aucunement de l’avoir connu auparavant…

Murakami explique que les deux romans proviennent d’une même nouvelle, datant de 1980, et que la raison de l’existence de La Cité aux murs incertains est qu’il n’a jamais été complètement satisfait par La Fin des temps ! Et qu’il voulait donc revenir à son idée initiale pour la travailler plus en profondeur. Ce qui distingue les deux livres, c’est leur ton : La Fin des temps joue de manière classique avec le suspense créé par la découverte des particularités de la ville, comme dans un livre fantastique ou de fantasy « classique », alors que La Cité aux murs incertains est nettement plus méditatif… On a le sentiment que, à 75 ans, le romancier ne se soucie plus d’accrocher notre attention, de nous « passionner »…

Il faut bien admettre que, si l’on retrouve dans La cité aux murs incertains cette écriture d’une élégance exceptionnelle, cette petite musique poétique typique de son auteur, et si le « lecteur en nous » est touché par cette célébration des livres (d’ailleurs, pas mal de critiques ont pointé l’influence probable de Borges), on n’est pas cette fois au niveau des meilleurs Murakami. La cité aux murs incertains nous tient comme « à distance » de ses personnages, et, mis à part dans certains passages de sa deuxième partie, la plus belle, les moments d’émotions sont finalement rares. L’ennui rôde parfois…

La déception est légère, mais elle est là : la cité aux murs incertains ne restera pas dans notre mémoire, comme 1Q84 par exemple. Espérons que nous n’aurons pas à attendre 7 ans pour le prochain Murakami ! Ou, pire encore, que ce ne sera pas le dernier livre du maître…

Eric Debarnot

La cité aux murs incertains
Roman de Haruki Murakami
Traduit du japonais par Hélène Morita
Éditions : Belfond
560 pages – 25 €
Date de parution : 2 janvier 2025

 

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