[Netflix] « La vie selon Cunk » : rire de tout ?

Après les mémorables séries Cunk on Britain et Cunk on Earth, le diabolique Charles Brooker et son équipe s’attaquent à Dieu et à la Science dans un (court) film, Cunk on Life (la vie selon Cunk). Avec toujours le même objectif, dézinguer la bêtise et l’ignorance croissantes de notre époque. C’est drôle, et parfois violent.

Cunk on Life

Après Cunk on Britain (satire critique de tout ce dont nos voisins britanniques sont fiers) et Cunk on Earth (élargissant le propos à la planète toute entière), deux séries qui ont chacune marquée leur époque, la pseudo vulgarisatrice télévisuelle Philomena Cunk – interprétée par Diana Morgan avec une impressionnante impassibilité, par rapport aux bêtises et aux horreurs qu’elle profère – s’attaque cette fois à un gros, un très gros sujet : rechercher le sens de la vie. En allant le chercher dans la Religion (chrétienne), dans la Philosophie, dans la Science, et dans l’Art.

Cunk on Life afficheEvidemment, on est très loin ici des documentaires sérieux et pédagogiques : on est dans le royaume du « mockumentaire », géniale invention britannique qui permet à l’humour typique du pays de s’exprimer tout à son aise, dans un registre « cringe », comme on dit désormais, particulièrement pertinent. Le sujet de toutes les « œuvres » de Charles Brooker, le créateur de Cunk (jeu de mot probable avec « Cunt », soit « connasse », la parfaite description de son insupportable présentatrice), mais aussi du génial Black Mirror, c’est avant tout l’étonnante capacité de l’humanité à régresser mentalement. Et à se repaître de théories stupides, qu’elles soient complotistes ou simplement débiles. Et à faire plus confiance à ce qu’on lit sur les réseaux sociaux ou à ce que disent des amis, qu’à la science ou à l’expertise en général.

Comme d’habitude, cette « tendance » effrayante – pas si nouvelle que ça, la pérennité de la foi religieuse en étant clairement la preuve – est illustrée lors d’interviews surréalistes, qui voient Cunk stupéfier ses interlocuteurs, penseurs, universitaires ou scientifiques reconnus, par la débilité et l’incohérence de ses questions ou de ses affirmations. A  ce sujet, on a plus de mal désormais à penser qu’il existe encore en Grande-Bretagne des gens qui se laissent prendre au piège d’un tel faux interview, étant donné la célébrité de Cunk. Pourtant, il y a cette fois encore à l’écran des moments impayables où la surprise, le désarroi ou l’irritation des interviewés crève littéralement l’écran.

Il n’empêche qu’on a un temps l’impression que le mécanisme de Cunk commence à s’user, qu’il surprend moins désormais : il reste de gros fous rires, parce que certaines vannes sont excellentes, et ce d’autant plus lorsqu’elles jouent avec les limites de la grossièreté. L’ambiguïté phonétique entre « our souls » (nos âmes) et « arseholes » (trous du cul) est une idée réellement géniale de par la confusion qu’elle sème durant les interviews…

Mais Brooker est certainement conscient de l’usure créée par la répétition de ces procédés (d’abord parce qu’il n’a créé cette fois qu’un film d’une heure dix minutes), et il dynamite littéralement Cunk on Life à mi-parcours, en lui faisant prendre un virage assez raide vers d’autres formes d’humour, vers d’autres mécanismes : vers la méchanceté (étonnante scène où Cunk déverse une haine violente envers le tableau de Van Gogh, les corbeaux, pas si loin de celle manifestée par les réactionnaires envers l’Art contemporain), vers la provocation (le long plan muet de fornication d’un couple), vers une dérision cruelle, le tout n’étant pas si loin de l’ancien « esprit Hara-Kiri » que nous adorions en France, à une autre époque. Le passage où Cunk on Life se moque du « politiquement correct » US en parodiant Netflix, qui diffuse une émission – hilarante – pour enfants sur le suicide, vaut à lui seul de visionner le film !

Si l’on peut reprocher quelque chose à Brooker et son équipe, qui s’approche pourtant, on l’a dit, de l’esprit satirique de la presse française (on pense ici à Charlie Hebdo), défendant le droit de « rire de tout »), c’est de ne pas avoir eu l’audace de moquer aussi l’Islam, et de limiter ses attaques au Christianisme… comme si régnait aussi au Royaume-Uni une crainte d’offenser les musulmans qui les protégerait des saines interrogations de l’humour.

Peut-être faut-il souhaiter de toute façon que la « série » des Cunk on... s’arrête là, mais il ne faut certainement pas manquer ce nouveau volet, formidable instrument de provocation, et donc indispensable outil de réflexion.

Eric Debarnot

La vie selon Cunk (Cunk on Life)
Film TV britannique de Al Campbell
Ecrit par Charlie Brooker
Avec : Diane Morgan
Genre : mockumentaire
Durée : 1h11mins
Mis en ligne (Netflix) le 2 janvier 2025

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