Michael Hiscock (ex-The Field Mice) de retour avec un nouveau projet : The Gentle Spring, signé sur Skepwax Records. Rencontre avec le bonhomme pour en savoir un peu plus sur cette aventure musicale qui démarre.
1988-1991 : trois années à peine, mais amplement suffisantes pour que The Field Mice s’imposent comme une référence de la dream pop lo-fi, avec leur musique fragile portée par des guitares éthérées et des mélodies entêtantes. Alors, quand on apprend que Michael Hiscock, l’une des moitiés fondatrices du groupe, revient avec un nouveau projet, on éprouve bien plus de la curiosité. C’est une invitation irrésistible à plonger dans cette nouvelle aventure sonore – et, évidemment, à poser quelques questions à Michael Hisrock pour en savoir davantage. Ce nouveau groupe s’appelle The Gentle Spring, signé sur l’impeccable label Skepwax Records. Et voici les réponses de Michael Hisrock !
Benzine : Ce projet marque une rupture, mais également une continuité. Quelle a été la genèse de ce nouveau groupe ? Quelles motivations ou contraintes vous ont poussé à en initier la création, et pourquoi précisément à ce moment de votre parcours artistique ?
Michael Hiscock : Il y a trois ans, je me suis rendu compte que je consacrais beaucoup de temps à des projets musicaux. C’est toujours un plaisir d’être impliqué dans ce type de projet, mais je passais au final beaucoup de temps à jouer la musique des autres. Depuis quelques années, j’avais récolté des idées pour les chansons, quelques accords, quelques lignes de paroles. J’ai donc pris la décision de me concentrer sur ces fragments afin de voir si je pouvais les transformer en chansons. En même temps, je me suis rendu compte que j’avais autour de moi tous les éléments nécessaires pour monter un véritable groupe ; Émilie qui joue du piano, de la guitare et de la flute traversière, et qui écrit aussi, et Jérémie qui joue de la guitare. En parallèle, Emmanuel Foricher du label Too Good To Be Truenous a proposé de faire un 45t (Paris Windows/ Dodge The Rain). En gros, tout s’est réuni au bon moment.
Benzine : Votre démarche s’inscrit-elle dans la continuité de votre travail avec The Field Mice, ou ressentez-vous une volonté d’explorer d’autres sons, d’autres thématiques, ou même d’autres influences ? Est-ce le début d’une nouvelle direction musicale, ou s’agit-il d’un prolongement, transformé par le temps et l’expérience ?
Michael Hiscock : Pour la première question, inévitablement oui. C’est l’univers musical d’où je viens, où j’ai été formé. Mes influences restent similaires aussi (Nick Drake, Pet Shop Boys, Talk Talk, Go Betweens). Cela dit, je ne voulais pas faire un Field Mice-bis. L’idée derrière The Gentle Spring était d’écrire des vraies chansons en utilisant une instrumentation organique, majoritairement acoustique, sans batteur. J’écoute beaucoup la musique folk et même si je ne veux pas / peux pas écrire des chansons folk, je suis très intéressé par une approche orientée vers la simplicité et l’enregistrement rapide.
Benzine : The Gentle Spring a vu le jour il y a deux ans. Ces deux années ont-elles été structurées par des objectifs définis, ou ont-elles été plus libres, laissant place à l’expérimentation et à l’imprévu ?
Michael Hiscock : Pendant la première partie de cette période, nous avons dû écrire et peaufiner nos chansons et les paroles. Ensuite, nous sommes passés en studio (deux semaines entre mai et juin 2024) et puis l’album a dû être masterisé. Sortir un disque demande beaucoup de temps, pas pour l’enregistrer, mais pour mettre en place tout ce qui entoure ce type de projet comme créer la pochette, créer de la publicité, organiser des concerts et attendre le bon moment.
Faire de la musique pour le plaisir est un vrai objectif, oui. Ce n’est pas une carrière mais plutôt un projet pour découvrir de quoi nous sommes capables et jouer des concerts dans des endroits intéressants, avec des organisateurs sympas.
Benzine : Parlons aussi de la composition du groupe. Qui sont les autres membres, et comment cette collaboration s’est-elle construite ?
Michael Hiscock : Émilie(Guillaumot– claviers, chant) et moi sommes ensemble depuis 10 ans et nous partageons la même passion pour la musique. Comme je l’ai déjà dit, Émilie est elle-même musicienne. Faire ce projet avec elle était une évidence pour moi. Je connais Jérémie (Orsel – guitare) depuis mon arrivée à Paris en 2011. Il joue dans pas mal de groupes et à chaque fois que je l’ai vu en concert, j’étais impressionné par son talent, sa façon de jouer la guitare et sa modestie. Au fur et à mesure, nous sommes devenus amis et nous sommes très contents qu’il ait accepté de nous rejoindre dans ce groupe.
Benzine : Comment travaillez-vous ensemble ? Est-ce que faire partie d’un groupe vous plaît, ou voyez-vous l’écriture comme un processus plutôt solitaire ?
Michael Hiscock : La porte est grande ouverte pour que chacun/chacune puisse apporter ses idées à la table et ensuite, nous ajoutons les différents éléments nécessaires pour compléter la chanson. Cela dit, celui/celle qui chante est responsable de la racine de la chanson, avec une seule exception. Je suis passionné par l’idée que nous fonctionnons autant que possible comme un groupe. C’est différent pour les paroles par contre, car il faut les écrire seul. C’est inévitablement un moment de solitude, ainsi que la partie que je trouve la plus difficile. Cela dit, je comprends que c’est un moment de solitude incontournable.
Benzine : Comment votre approche de l’écriture a évolué au cours des ans ? Comment écrivez-vous ? En partant de la musique, des paroles ? Commencez-vous par jouer sur un instrument ? Écrire de nouvelles chansons est fascinant… tellement de choses ont été écrites…
Michael Hiscock : Je ne peux que parler pour moi, mais je n’ai jamais pris le temps pour écrire une chanson, comme on peut prendre le temps pour écrire une lettre par exemple. Je n’ai pas un très bon niveau en guitare acoustique, mais j’adore en jouer. En général, je trouve un enchaînement d’accords que j’aime bien et qui évoque une certaine ambiance. Si quelques jours ou quelques semaines plus tard ces accords sont toujours dans ma tête je considère que j’ai trouvé un point de départ. Après, il faut continuer à jouer, à peaufiner l’idée pour faire sortir la chanson. Je peux demander l’avis d’Émilie et de Jérémie aussi. Si à un moment donné, j’entends la trace d’une autre chanson dans ce que je suis en train de faire, j’abandonne l’idée. C’est un peu près pareil pour les paroles. J’ai un cahier dans lequel je note mes idées et puis, avec du temps, j’arrive à développer l’idée, écrire des couplets et le refrain.
Benzine : Qu’est-ce qui inspire vos paroles ? Y-a-t-il des thèmes récurrents ? Des émotions que vous voulez explorer ? L’album est plutôt mélancolique, même si certaines chansons sont plus « dynamiques » que d’autres (comme The Ashes).
Michael Hiscock : La difficulté avec les paroles est de savoir si ce que je veux dire vaut la peine d’être dit. Ensuite, il faut, bien entendu, trouver le bon mot. À 58 ans, c’est pour moi inévitable de regarder un peu en arrière, c’est là où se retrouvent mes expériences. Je garde toujours en tête la phrase de l’écrivain Henry de Montherlant : le bonheur écrit à l’encre blanche sur des pages blanches. Les chansons sont souvent pour moi une activité pour découvrir ce que je pense ou ce que je ressens d’un certain moment ou instant dans ma vie.
Benzine : Le titre de l’album invite à une réflexion sur le passé. Ce regard rétrospectif est-il exclusivement musical, ou s’inscrit-il dans une dynamique plus générale ? On y trouve une forte résonance avec la tradition pop de Sarah Records. Vous sentez-vous héritier ou porteur de cette tradition ?
Michael Hiscock : J’ai choisi ce titre, car à 58 ans, je regarde la vie que j’ai vécue et je me pose des questions sur la qualité et le contenu de celle-ci. C’est également pour moi une façon de faire un point ; je regarde en arrière, je traite un certain nombre de questions et ensuite, je me sens libre d’avancer. Dans ce sens, l’action de regarder en arrière n’est pas une action nostalgique, mais plutôt positive. Nous n’avons pas essayé d’écrire dans la tradition de Sarah. Cela dit, avec mon passé et le fait que nous ayons enregistré avec Ian Catt, il y a peut-être pour certains des traces de l’époque Sarah.
Benzine : Le rapport au passé peut être ambivalent : est-il agréable pour vous de revisiter vos œuvres précédentes, ou préférez-vous ne pas vous y attarder ?
Michael Hiscock : Je garde de bons souvenirs de mon temps avec The Field Mice. Je suis toujours en contact avec Anne-Mari(Davies– Claviers, chant) et Harvey(Williams – Guitare), et Bobby(Wratten – Guitare, chant, co-fondateur de The Field Mice) reste mon meilleur ami. Je continue à jouer de la basse pour lui. Je n’écoute pas The Field Mice par contre. Je suis toujours plus intéressé par l’avenir, non seulement nos chansons avec The Gentle Spring mais aussi la musique que Bobby continue à composer. C’est toujours gratifiant de rencontrer quelqu’un qui aime The Field Mice, de se rendre compte que nous avons touché la vie de certaines personnes avec notre musique.
Benzine : Cela soulève également une question plus vaste : la pop musique est-elle encore vivante, ou n’est-elle plus qu’une référence historique, un territoire à redécouvrir, mais non à conquérir ?
Michael Hiscock : La musique pop existe toujours dans le sens où la musique est populaire. Il y a toujours des groupes de jeunes qui souhaitent jouer de la guitare et monter sur scène car ils ont quelque chose à dire ou, tout simplement, parce que la musique qu’ils souhaitent entendre n’existe pas encore et donc il faut la créer. On aime ou on n’aime pas les résultats, la forme de la musique, mais la musique pop existe et (je crois) existera toujours.
Benzine : En tant qu’artiste, ressentez-vous aujourd’hui davantage de liberté dans votre expression, ou devez-vous faire face à de nouveaux défis liés aux transformations de la scène musicale contemporaine ?
Michael Hiscock : Je me sens complètement libre, non pas parce que je suis un artiste, mais parce que je suis un être humain qui a la chance de vivre dans un pays libre. Le défi d’aujourd’hui est le même que depuis toujours : trouver des bonnes idées et trouver une solution pour partager ces idées (des concerts, une maison de disques). Mais je ne suis pas un artiste ! Je fais la distinction entre pratiquer une activité artistique dans le cadre d’une vie « normale » (moi) et être artiste, quelqu’un qui vit pour et par son art (Bobby ou Brian Eno par exemple).
Benzine : Enfin, quels artistes ou groupes, anciens ou actuels, vous influencent ? Trouvez-vous encore dans la musique contemporaine des échos capables de vous stimuler, de vous surprendre ?
Michael Hiscock : Comme toujours, Nick Drake, Mark Hollis, The Go-Betweens, Paddy McAloon. Mais également les artistes dans le milieu folk comme Vashti Bunyan. Je dois avouer que je ne suis pas trop la musique actuelle.
Benzine : Le rôle des labels indépendants est extrêmement important dans une industrie musicale très dominée par de grosses entreprises. Ce choix d’indépendance, cette affiliation à un label indépendant, a-t-il pour vous une signification particulière, au-delà des contingences économiques ?
Michael Hiscock : Oui, absolument. Il faut être réaliste, EMIne va pas m’appeler pour nous proposer un contrat. Mais les labels indépendants sont cruciaux pour que les voix des jeunes, des musiciens, soient entendues. Qui veut vivre dans un monde où on ne retrouve que les méga-stars qui vendent des millions de disques ? Pas moi. N’oublions pas que les grands groupes et artistes commençaient en général avec un label indépendant. Il est étonnant de voir comment un groupe comme The Smiths ou le label Factory, et même Sarah, sont tellement influents aujourd’hui.
Propos recueillis par Alain Marciano