Désormais privé de son complice Hubert, Zanzim décide de faire cavalier seul en racontant l’histoire d’un « homme-pouce » qui rétrécit. Et pour le coup, ce conte manque singulièrement… de corps. Entre grand et petit, ça donne du moyen…
Stanislas Rétif, c’est un peu monsieur « tout le monde », ou presque. Vendeur dans un magasin de chaussures, son physique est loin d’être désagréable mais le jeune homme est complexé par sa petite taille. A défaut de conquérir le cœur des femmes, il préfère fantasmer sur leurs chevilles et les chaussures qui les habillent. Et pourtant, il y a cette jolie fleuriste, très timide aussi, secrètement amoureuse de lui mais qu’il ne remarque pas, même s’il passe chaque matin devant sa boutique.
« Après Peau d’homme, le nouveau chef d’œuvre de Zanzim », peut-on lire sur le sticker apposé en couverture. N’était-ce pas aller un peu vite en besogne de la part de l’éditeur ? Sans l’ombre d’un doute, oui, Peau d’homme est un chef d’œuvre, légitimement couronné par de très nombreux prix après sa sortie et consacrant ainsi ses deux auteurs. D’abord le regretté Hubert, scénariste émérite qui malgré une mort précoce, aura tout de même eu le temps de nous laisser quelques belles productions (notamment sa formidable série emblématique, Les Ogres-Dieux) et puis Zanzim, collaborateur fidèle dudit Hubert avec cinq projets communs au compteur. Alors quid de ce Grand Petit Homme, première tentative de Zanzim de voler de ses propres ailes ?
Pour ce faire, l’auteur a opté pour le registre du conte fantastique, qui se situe dans un Paris des années 70 à l’atmosphère délicieusement désuète. Sur un scénario simplissime qui évoquerait le film de Jack Arnold, L’Homme qui rétrécit, ou celui de Richard Fleischer, Le Voyage fantastique, nous suivons les mésaventures de Stanislas Rétif, un vendeur de chaussures célibataire et mal dans sa peau qui adore mater secrètement les talons des jeunes femmes. Désavantagé par sa petite taille (1m 57) qui l’oblige à porter des talonnettes, celui-ci va subitement, par un étrange sortilège lié à une bottine magique, rapetisser encore davantage. La vraie grosse poisse qui tabasse ! Désormais pas plus gros qu’une souris, il va se trouver confronté à mille dangers, mais très vite, il va prendre goût à sa nouvelle apparence qui lui permettra d’entrer à leur insu dans l’intimité de jeunes femmes qu’il convoite, en particulier de la jolie fleuriste dont il va tomber amoureux.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le sujet est plus que scabreux, et Zanzim ne se prive pas de laisser libre court à ses fantasmes les plus polissons. Et puis, inutile de se mentir, qui n’a pas rêvé de se rendre invisible pour admirer en douce un être à qui l’on n’aura pas eu le cran de déclarer sa flamme ? Reste que le véritable enjeu est la manière de traiter la question, parce que mettre le lecteur, à travers le personnage de Stanislas, dans la position de voyeur peut légitimement donner lieu à un profond malaise. Pourtant, il serait difficile d’y voir de la part de l’auteur des intentions lubriques, celles-ci étant désamorcées très vite par son style graphique « innocent ». D’une tonalité minimaliste et poétique, le trait n’a rien d’érotique et encore moins de pornographique, même si l’on aperçoit la bistouquette de notre héros, aux proportions par ailleurs très modestes. Et pour les plus pudibonds, qu’ils se rassurent, la seule scène un peu licencieuse est celle où l’on voit un Stanislas miniature dans le plus simple appareil s’endormir sur la toison pubienne de Madeleine. Pas de quoi fouetter une chatte, si je puis dire…
Non, ce qui pêche davantage dans Grand Petit Homme, c’est cette narration improbable, peu convaincante à force d’être sommaire, et au final, on ne sait pas trop ce que son auteur a voulu exprimer dans ce conte un brin gentillet qui semblerait presque destiné à un public jeunesse, si ce n’était le thème quelque peu libertin… Et puis cette histoire de bottine qui tient son pouvoir magique de la vache sacrée dont elle est faite, on n’en saisit pas trop le lien, si encore le récit avait un rapport quelconque avec le cuir et ses propriétés érogènes… Mais le plus agaçant sans doute est le pathos appuyé vers la fin du livre où l’on découvre que la jeune Fleur, sorte de double d’Amélie Poulain dépourvue d’aspérités, est atteinte d’une grave maladie. Quant à la stratégie de Stanislas pour sauver sa bien-aimée, on tombe carrément dans le grotesque.
Il y a vraiment quelque chose qui ne fonctionne pas ici, et c’est bien dommage de la part du co-auteur du magnifique Peau d’homme, même si l’on sent chez lui une volonté de bien faire. Grand Petit Homme nous laisse avec cette impression de coquille vide. Force est d’admettre que Zanzim à lui seul n’aura pas réussi à combler l’absence de feu Hubert avec ces personnages un peu vains et cette narration bien trop inconsistante.
Laurent Proudhon