« L’Avenir », de Stéphane Audeguy : un monde où l’art pictural aurait disparu

Stéphane Audeguy met son talent de conteur au service de récits de vie singuliers destinés à nous faire réfléchir à notre rapport à l’Art. « L’Avenir » est une dystopie qui interroge sur ce que serait un monde où, à l’exemple de « La Joconde », réduite en quelques secondes à un tas de poussière, tous les tableaux des musées se seraient désagrégés.

Stephane Audeguy,
© J Panconi

Et un jour, on vit La Joconde tomber en poussière devant une foule de visiteurs médusés. « Un jour », mais quand ? Impossible de le savoir précisément, mais une chose est sûre : ce futur imaginé par Stéphane Audeguy n’est pas si lointain. Parmi ces visiteurs, il y en a un qui sort de l’anonymat, un certain Li Fang, un vieux Chinois qui avait, par le plus grand des hasards, découvert Mona Lisa enfant – et, cocassement, dans la version moustachue du fameux LHOOQ de Duchamp. C’est ce même Li Fang qui filmera la scène, immortalisant la Joconde désormais réduite à »un petit tas pulvérulent au pied d’une planchette de peuplier » puis la diffusera sur les réseaux sociaux.

L avenir couvertureLes hypothèses les plus folles ne manqueront pas, alors, de circuler quant aux raisons de la désagrégation du plus célèbre tableau du Louvre, dont l’une, je dois dire, a ma faveur : et si la Joconde avait disparu d’avoir été trop regardée ? Mais ce n’est que le début de la Catastrophe : le chef-d’œuvre de Léonard de Vinci ne sera pas le seul, en effet, à connaître cet effacement subit. La jeune fille à la perle, Les Époux Arnolfini, La Cène, American Gothic, La Nuit étoilée... c’est toute la peinture figurative occidentale de nos musées qui s’évanouira ainsi, laissant un monde sans peinture ou presque, et vidant du même coup les musées de leurs œuvres et de leurs visiteurs. La polémique bat alors son plein : le Louvre sera -t-il converti en siège d’entreprise ou en parc d’attractions à thème ?

Si la disparition de La Joconde est l’événement spectaculaire qui annonce la fin d’un monde, elle est pour ce talentueux conteur qu’est Stéphane Audeguy l’occasion de se pencher sur la vie de ceux dont elle a, pour ainsi dire, croisé le chemin ou infléchi le destin : Li Fang donc, mais aussi Saverio Besagiratu, le conservateur des peintures de la Renaissance italienne au Louvre, Ismaël Ackerman, un historien de l’art juif et allemand, spécialiste des œuvres d’art disparues, et Prudence, une jeune orpheline haïtienne, enlevée par une étrange communauté. Le roman procède par ruptures et décentrements successifs, déconcertants parfois, se faisant récit à la première ou à la troisième personne : des histoires qui illustrent la diversité des cheminements qui mènent à l’art et des liens que l’on peut entretenir avec lui.

Ainsi le lecteur est-il lui-même librement invité à réfléchir à la place qu’occupe l’art dans sa vie. Après avoir posé, non sans humour, le constat des dérives qui menacent notre rapport à des œuvres devenues de vulgaires objets de consommation soumis à d’importants enjeux pécuniaires, c’est vers nous et vers l’avenir que Stéphane Audeguy tourne désormais son miroir dystopique. SI l’Art est au centre de nos vies, n’est-ce pas parce qu’il nous permet de « regarder vraiment le monde, non pas pour l’exploiter, non pas pour le penser, mais seulement pour entrevoir, dans l’éblouissement de la beauté, de merveilleuses énigmes » ? Alors, si l’Art venait à disparaître, qu’adviendrait-il de nous ?

Anne Randon

L ‘Avenir
Roman de Stéphane Audeguy
Éditions du Seuil / Fiction et Cie
272 pages / 21€
Date de parution : 10 janvier 2025

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