« Les saules » de Mathilde Beaussault : une affaire criminelle très sombre en Bretagne

Une affaire criminelle sordide dans un village agricole de Bretagne englué dans sa misère sociale ou familiale. Une peinture digne de Jérôme Bosch.

© Bénédicte Roscot

Voici le premier roman de Mathilde Beaussault : Les saules. Un roman noir au cœur des sombres terres agricoles de Bretagne, du nature-writing à la française.

Comme dans tout bon roman noir, on commence par la découverte d’un cadavre, une jeune fille de préférence : ce sera Marie, étranglée au bord de la petite rivière bordée de saules, en contre-bas du village. Marie était bientôt une jeune femme, un peu trop délurée et bien trop court vêtue.
On dira donc qu’elle l’a bien cherché.
C’est Marguerite, l’idiote du village, qui fera cette macabre découverte. La petite est simplette et quasi abandonnée par ses parents.
“[…] On la touche tellement pas cette gamine qu’elle s’élève toute seule comme une petite bête. Une petite bête sauvage.”

Marguerite est quasiment mutique ce qui ne va pas faciliter l’enquête des gendarmes, d’autant que les autres habitants ne sont guère plus bavards : ce sont des paysans taiseux, parfaitement rodés au silence quand il s’agit de taire ce qui dérange.
“[…] On réfrène les émotions ici, on les tient à bonne distance. Et quand il faut ensevelir celles qui salissent ou perturbent, on n’est pas feignant et on creuse profondément leur tombe.“

Dans ces pages et dans les locaux de la gendarmerie, nous allons voir défiler presque tout le village.
Les parents de la pauvre Marie : Gilles le père pharmacien, un notable et Elisabeth la mère qui n’avait que sa fille comme raison de vivre.
Paulette, leur femme de ménage, qui n’est ménagée ni par ses employeurs arrogants, ni par son beauf de mari.
Et puis Damien, Caroline et d’autres amis de Marie.
Et enfin les paysans d’en-bas qui peinent à maintenir à flot leur élevage de porcs : les parents et la tante de Marguerite, les voisins.
L’enquête piétine, menée par André le gendarme du coin et son impassible collègue Arlette venue de la ville.
“[…] – Il y a forcément quelqu’un qui a vu ou qui sait quelque chose bon Dieu. – Mais il semble que soit on n’a pas mis la main dessus, soit il cache suffisamment bien son jeu pour nous échapper.”

Dans le sombre registre de la misère paysanne, Mathilde Beaussault n’y va pas avec le dos de la main morte.
Du sordide, du crasseux, en veux-tu en voilà, comme dans les extraits ci-dessous.
“[…] La soupe fume encore dans la cocotte. On a ajouté de l’eau pour l’allonger et satisfaire les estomacs. La télévision gueule à plein régime des informations que le père écoute d’une oreille tout en fixant son assiette, sa bedaine en accordéon posée contre ses cuisses.
[…] Caroline, qui n’a pas été épargnée par les bruits de couloir, apprend à détester sa mère un peu plus chaque jour. Jocelyne, seule, éponge les factures à la sueur de son front et fait bonne figure avant d’écraser le soir venant, des sanglots animaux dans le creux de son oreiller.”

Bien sûr, on sait que la vie rurale n’a pas toujours été rose avec des mères épuisées qui ne peuvent guère s’occuper de leurs enfants ou bien des pères qui s’occupent un peu trop des leurs.
Mais la prose de l’auteure se complaît beaucoup trop facilement dans ce contexte envahissant.
À force d’écœurer ainsi son lecteur, Mathilde Beaussault manque sa cible.

D’autant que d’autres auteurs ont déjà montré dans ce même registre, la voie d’une plume plus efficace parce que plus sèche : R.J. Ellory, Marie Vingtras ou encore Patrick Delperdange, pour ne citer que quelques-uns des dénonciateurs de la violence rurale, sociale ou familiale.
Las, le récit explicatif et descriptif manque ici de retenue, et l’exagération de Mathilde Beaussault est plutôt à ranger aux côtés de celle de Rebecca Lighieri ou Marion Brunet par exemple : une peinture sociale aux couleurs beaucoup trop criardes, une profusion de clichés faciles et des personnages aux traits grossiers qui frisent la caricature.

Bien sûr ces personnages existent sûrement dans la vraie vie : on picole, on est trop seul, on est trop gros, on bouffe n’importe comment, on couche avec n’importe qui, on ne dit jamais rien, on cogne trop fort, …
Mais, à part Marguerite, pas un seul des personnages de ce roman n’arrive à susciter notre empathie ou même notre compassion.
Car la seule description d’âmes perdues ne suffit pas à faire un bon bouquin, il faut aussi donner un sens à l’intrigue.
Et ce sens, on ne l’a pas trouvé.

“[…] C’était une jeune fille magnifique. Trop belle sans doute. Ce n’est pas la première fille qui s’abîme la beauté et la jeunesse dans le coin. Ce que je veux dire ? C’est qu’elle était malheureuse comme les pierres.
[…] Parfois ce qu’ils veulent, c’est juste une oreille ou un regard qui ne les évite pas. La solitude ici fait des ravages. On n’en parle pas parce que les bonhommes ont leur fierté campée dans leurs bottes.”

Bruno Ménétrier

Les saules
Roman de Mathilde Beaussault
Editeur : Seuil
272 pages – 19,90 €
Date de parution : 10 janvier 2025

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