Franz Ferdinand – The Human Fear : La peur comme moteur d’un retour en demi-teinte ?

On n’attendait rien de particulier du retour après 7 ans (dont deux occupés à promouvoir un Greatest Hit) d’Alex Kapranos et son Franz Ferdinand. Ce qu’on a, c’est un nouveau disque plaisant, bien écrit, bien joué, qui n’ajoutera rien à la légende d’un groupe jadis iconique. Pas si mal, en fait, même si bien sûr, ce n’est pas Take Me Out !

Franz Ferdinand
© Domino

On a du mal à l’imaginer en 2025, mais il fut un temps où Franz Ferdinand étaient un groupe IMPORTANT : surgi par surprise de cette ville de Glasgow qui nous avait offert déjà tant de musiques essentielles, quatre jeunes gens, armés d’un album parfait, prenaient d’assaut les scènes du monde avec des sets éblouissants, points d’équilibre parfaits entre énergie et beauté mélodique. En 2004, c’est bien simple, Franz Ferdinand marchaient littéralement sur l’eau. Suivirent deux albums presque aussi excellents, You Could Have It So Much Better (2005) et Tonight: Franz Ferdinand (2009), poussant encore plus loin l’étonnante formule « rock à guitare + pop traditionnelle + dance music » mise au point par le groupe. Et puis, comme toutes bonnes choses ont une fin, l’inspiration s’épuisa (Right Thoughts, Right Words, Right Action, très moyen, voire faible), en dépit d’une tentative audacieuse, et réussie, de monter un super groupe avec les électrons libres de Sparks : FFS (« Franz Ferdinand Sparks » ou « For Fuck’s Sake » !) nous offrirent un très bon album et quelques concerts parfaits. Mais une fois de retour aux affaires « normales », la magie s’était bien évanouie : Always Ascending (2018) s’avérait quasiment… pénible. Et, pire, sur scène, la où le groupe régnait en maître, on avait le sentiment qu’une artificialité, une énergie forcée et insincère avaient remplacé la joie communicative des débuts.

The Human FearL’affaire semblait définitivement pliée, le groupe relevant alors les compteurs en promouvant un « Greatest Hits », signe indiscutable qu’il n’avait plus d’avenir. Sept ans plus tard, Franz Ferdinand refont surface avec ce The Human Fear que personne n’attendait plus. Sept années qui nous ont vu vieillir, et pire, qui ont vu à peu près tous les grands groupes du début des années 2000 au mieux se réinventer (QOTSA) ou disparaître (à peu près touts les autres). Et puis, signe qui ne trompe pas, il ne reste du groupe original que son leader, Alex Kapranos et le bassiste, Rob Hardy. Bon, comme il faut bien expliquer cette « résurrection » autrement que pour des motifs financiers (bien naturels), Alex Kapranos a présenté ce sixième album comme une exploration de nos angoisses, une sorte de tentative de capter ce qui nous lie désormais dans notre monde « pretty f***ed up » : la peur. On veut bien, mais la mise en musique de cette idée n’a rien d’évidente, et on a au contraire le sentiment d’être toujours dans le même courant de musique positive, gaie, entraînante : ce qui n’a rien de mal, au contraire même, mais pour la « peur », on peut repasser : les textes de Kapranos demeurent incisifs et pleins d’esprit, capables de construire, à partir de récits personnels, ces émotions universelles qui firent jadis le « triomphe » de la pop music (au sens 60-0’s du terme), mais on a bien du mal à trouver ici un véritable « thème » qui amène la moindre la réflexion.

Ceci dit, ce n’est pas bien grave, parce que ce que l’on aime (aimait ?) chez Franz Ferdinand, ce sont les bonnes mélodies, l’énergie des guitares et les fameuses ruptures de « genre » immortalisées en 2004 par Take Me Out. Et, sur ce plan là, The Human Fear n’est pas une déception : il enfonce même largement les ratés de Right Thoughts, Right Words, Right Action et de Always Ascending. On ne pourra donc pas s’empêcher de penser que, oui, ces sept ans n’ont pas seulement servi à Kapranos à rencontrer Clara Luciani ! (Même si on imagine bien que le « Amour, amour, amour / I thought I knew what love was / And then I met you / You got me hooked – Amour, amour, amour / Je pensais savoir ce qu’était l’amour / Et puis je t’ai rencontré / Tu m’as rendu accro » de Hooked parle au cœur de notre chanteuse nationale…). Il a donc aussi composé une bonne dizaine de chansons accrocheuses, plaisantes dès la première écoute, au milieu desquelles il restera peut-être une petite poignée de nouveaux « classiques »… Le percutant – et humoristique – The Doctor, par exemple, a tout du meilleur Franz Ferdinand, et devrait se révéler une bombe sur scène (sans même parler de l’idée amusante de rajouter des sonorités « new wave 80’s » aux claviers) : deux minutes vingt de pur plaisir, qui, elles, nous renvoient 20 ans en arrière sans aucune nostalgie. On aime beaucoup aussi le sautillant Build It Up, sa mélodie chatoyante, ses ruptures de ton, la joie légère mais sincère qui s’en dégage, même si on est là dans le territoire typique du groupe. Tell Me I Should Stay est sans doute le morceau qui sonne le moins comme un rappel évident des années fastes : si l’essence de Franz Ferdinand est reconnaissable, il y a de la part de Kapranos une claire volonté de trouver de nouvelles manières de l’exprimer. Dans le même esprit, le romantique Black Eyelashes se construit sur une belle atmosphère kezmer que l’on n’aurait jamais imaginé trouver sur un album de Franz Ferdinand : une étonnante réussite.

A l’inverse, les deux singles nous laissent plus dubitatifs : la tentative trop sage d’un refrain millésimé pop sixties de Audacious ne fonctionne guère, alors que Night Or Day tombe du mauvais côté de la frontière entre « cohérence » artistique et redite de choses déjà entendues – et en mieux – sur les trois premiers disques du groupe. Attention ! Ce ne sont pas de mauvaises chansons (il n’y en a d’ailleurs aucune sur le disque), ce sont juste des preuves que la question du renouvellement est difficile à régler pour un groupe aussi iconique, qui a, logiquement, du mal à maintenir sa pertinence dans un paysage musical toujours plus mouvant, voire incertain.

Au final, The Human Fear est un album paradoxal : très plaisant, solidement exécuté (un point pour la nouvelle batteuse, qui impose une frappe martiale et percutante), mais manquant parfois de flamme. Il est clair qu’avec l’âge, les explosions « punks », dont le groupe était capable à ses débuts, deviendraient peut-être superfétatoires, mais un peu plus de passion et de rage auraient permis à l’album d’être un peu plus mémorable.

Eric Debarnot

Franz Ferdinand – The Human Fear
Label : Domino
Date de sortie : 10 janvier 2025

 

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